Yacine Fylla: « Nous voulons démocratiser les véhicules électriques en RDC »  

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Yacine Fylla : « notre vocation est de démocratiser les véhicules électriques en RDC »

À travers Mopepe Solutions, le Congolais Yacine Fylla a pour ambition d’apporter une solution durable et de favoriser la transition écologique sur le continent africain. Pour ce faire, il a lancé récemment une flotte de véhicules électriques dans la ville de Kinshasa. Dans cet entretien accordé à Afrik 21, Yacine Fylla donne plus de détails sur son projet de mobilité électrique.

Afrik 21 : Mopepe est un service de location de voitures électriques disponible à Kinshasa, la capitale de la République démocratique du Congo (RDC). C’est sans conteste une première en Afrique centrale. Comment ça se passe exactement ?

Yacine Fylla : Mopepe est plus une compagnie qu’un service qui veut dire « air » ou le « vent » en lingala. Nous avons pour ambition d’apporter des solutions pour le développement durable et la transition écologique en Afrique. L’une des premières solutions s’appelle Eco Car et c’est une solution de type Uber, avec des véhicules électriques et un réseau de bornes de recharge qui est installé afin de faciliter la transition écologique, mais également en termes de modalité afin de passer des véhicules à combustion à des véhicules propres.

Et comment l’utilise-t-on concrètement à Kinshasa ?

C’est assez simple. Vous pouvez simplement appeler ou utiliser Whatsapp pour commander un véhicule électrique. D’ici quelques semaines, nous allons lancer une application de type Uber, avec la particularité de proposer des véhicules entièrement propres en plus des véhicules électriques. La deuxième particularité est qu’on pourra également payer via les différents services « mobile money », parce que nous sommes également donnés pour mission de parvenir à l’inclusion financière.

Pourquoi choisir les voitures électriques plus chères à l’achat que des voitures conventionnelles fonctionnant avec des moteurs à combustion ?

Effectivement un véhicule électrique est plus cher à l’achat qu’un véhicule à combustion, mais à l’utilisation, un véhicule électrique coûte beaucoup moins cher, entre 60 et 70 % moins cher que les voitures conventionnelles puisqu’il n’y a quasiment pas d’entretien. Il y a aussi le coût de l’essence, comparé à l’électricité qui est beaucoup moins chère. Et donc, à la longue, nous serons gagnant parce que ces deux points là seront quasiment supprimés et cela va favoriser les bénéfices.

Nous sommes une société qui œuvre pour le développement durable et la transition écologique. Nous ne pouvons donc pas nous permettre d’avoir des voitures diesel sinon, ce serait contraire à nos ambitions et à notre vocation. Et nous avons pour vocation justement de démocratiser l’usage des véhicules électriques, parce que nous savons que la terre en besoin. Les émissions de CO2 sont dues à l’action humaine, et la majorité de ses activités se situe dans les transports. C’est l’un des premiers fléaux en termes d’émission de carbone et c’est d’ailleurs les SUV (sport utility vehicle) qui ont un poids dramatique sur notre climat, car ils sont responsables de la quasi-augmentation totale du nombre de barils de pétrole par jour dans le monde. À ce rythme, nous allons vers un schéma assez dramatique pour la terre. Nous avons cette ambition de pouvoir éduquer les gens ; et pour cela, nous avons choisi les véhicules électriques.

C’est très beau comme vision. Mais nous sommes en RDC où comme ailleurs en Afrique les réseaux électriques sont assez instables à cause de faibles capacités de production et des réseaux de distribution vétustes… Face à cette situation, comment démocratiser l’usage des voitures électriques ? N’est-il pas trop tôt ?

Je pense que cette solution arrive un peu tard. L’Afrique ne concourt qu’à moins de 4 % des émissions globales d’effet de serre. Malheureusement, l’Afrique sera le continent le plus touché par le changement climatique. Et on le voit déjà, alors on doit prendre le taureau par les cornes. Ce n’est pas parce qu’on participe peu aux émissions du CO2 qu’on ne doit rien faire. C’est à nous de nous préparer à la transition écologique.

Sur la capacité de production d’électricité. La RDC produit 99 % de son électricité de manière verte et durable et vend une partie à l’extérieur de ses frontières, grâce à l’hydroélectricité. Le problème se situe au niveau du réseau de distribution qui est assez vétuste ? En tant qu’homme d’affaires, j’ai une vocation à être visionnaire et à avoir un pas en avant. C’est peut-être trop tôt ou trop tard, mais le besoin pour la terre de respirer est immédiat. Ce n’est pas dans 10 ans. C’est certes un risque, mais il peut être mitigé. Parce que 95 % du temps en Afrique, il y a du soleil, alors on peut très bien utiliser l’énergie solaire pour recharger nos véhicules. Et c’est ce qu’on fait ici dans les endroits où le réseau n’est pas fiable.

La distribution de courant dans nos bornes reste un challenge. Mais nous avons des accords avec des partenaires stratégiques comme Rawbank et Vodacom, qui nous permettent d’installer nos premières bornes de recharge dans leurs agences.

Comment vos véhicules électriques sont-ils rechargés à Kinshasa ?

L’idée c’est d’avoir un réseau de borne de recharge à travers notre deuxième solution qui est Mopepe Refill. L’objectif est que d’ici à 2025, au moins 5 à 10 000 automobilistes utilisent notre réseau. Pour cela, il faut entre 500 et 1 000 bornes, et nous sommes très loin du compte avec actuellement 12 bornes installées et d’ici la fin de l’année nous serons à 10 % de notre objectif, et tout cela en fond propre. Nous n’avons pas encore levé de l’argent sur les marchés. On va donc brancher nos véhicules électriques dans les lieux où la recharge est facile, c’est-à-dire les mall, les hôtels, les banques, etc. Ces lieux seront équipés de bornes de recharges Mopepe. Ce sera le cas aussi dans tous les centres commerciaux de Kinshasa.

Yacine Fylla : « notre vocation est de démocratiser les véhicules électriques en RDC »

Ces véhicules électriques sont visibles à Kinshasa depuis quelques semaines © Mopepe

Nos différents partenaires ont déjà réagi à cette réponse énergétique puisqu’ils sont déjà équipés de ligne directe qui sont à peu près stable et disposant de groupe électrogène pour les lesquels nous sommes contre, mais nous travaillons avec eux pour qu’ils fassent la transition énergétique et passent aux systèmes solaires et d’autres solutions plus propres. Dans les lieux isolés, notamment sur la route de Matadi, nous allons installer des bornes de recharge connectées au réseau de la Société nationale d’électricité (Snel) et hybridées par le solaire.

Vous facturez l’abonnement à ce service de mobilité électrique à 100 dollars par mois, soit 200 000 francs congolais. N’est-ce pas un peu cher pour le Congolais ?

Il y a un proverbe qui dit que : « le poisson ne pourrit que part la tête ». Cela veut dire que le Congolais lambda n’est pas celui qui émet le plus les gaz à effets de serre à Kinshasa. C’est plutôt le Congolais qui possède deux ou trois 4×4 à la maison qui pollue 10 à 20 fois plus qu’un Congolais lambda. C’est d’abord à lui que nous nous adressons en disant qu’au lieu de rouler en 4×4 et dépenser entre 400 et 500 dollars d’essence par mois, il est préférable d’acheter un véhicule 10 à 15 % plus cher, mais qui va te coûter trois fois moins cher à la recharge par mois. Et pour lui, c’est une économie importante, si vous considérez qu’un propriétaire de SUV met au moins le plein une à deux fois par semaine avec les bouchons.

Maintenant pour les véhicules, les tarifs sont beaucoup moins chers qu’un taxi parce que nous nous adressons à tout le monde ou du moins à une classe moyenne émergente. Actuellement en RDC, un taxi coûte 10 dollars l’heure et nous nous sommes à 8 dollars l’heure. De plus, on y inclut énormément de services… Maintenant ce qui nous aiderait, c’est d’avoir des investissements pour élargir notre offre. On a beaucoup de climatosceptiques sur le continent africain. Ce qui est une hérésie selon moi.

Selon vous, quel est le véritable défi de la mobilité électrique en RDC ?

Je dirais qu’il est le même que partout en Afrique. Et ce n’est pas seulement pour la mobilité électrique. Les voies de communication ne sont pas assez développées que ce soit aérienne ou terrestre. Pour aller au Togo par exemple, je dois passer par Addis-Abeba en Éthiopie, puisqu’il n’y a pas de vol direct entre le Togo et la RDC. Ça c’est pour l’aérien. C’est pareil pour le terrestre. Si je veux aller au Cameroun ou en Centrafrique qui sont des pays voisins, il n’existe pas d’autoroutes pour y aller. Et donc on a besoin d’un meilleur réseau routier et après, il y a un défi énergétique. Au Congo, nous avons la chance d’être l’un des rares pays à produire presque la quasi-totalité de son électricité à partie d’une source propre.

C’est l’hydroélectricité et on a un potentiel qui pourrait alimenter, d’après certains spécialistes presque tout le continent. Mais il faut aller au-delà du potentiel. Je suis un ancien athlète. Et pour moi le potentiel c’est le talent brut et cela demande du travail. Et donc il faudrait travailler pour être des étoiles ou pour faire les choses qui marchent. Pour que cela fonctionne, je pense qu’il faudrait un mélange entre le leadership et la volonté politique, c’est-à-dire une prise en conscience des enjeux climatiques qui feront en sorte qu’on soit déjà plus attachés sur le développement des infrastructures et un développement social et socioéconomique pour l’éducation, la mobilité ou même le sport. L’infrastructure est donc notre premier défi.

Avec Mopepe, vous avez choisi de commencer par Kinshasa. Pourquoi pas Lubumbashi qui est une ville de près de 2 millions d’habitants ?

Honnêtement, c’est plus par facilité, étant donné que je connais mieux Kinshasa. C’est un projet qui existe déjà depuis 6 ans. C’est après le discours du président de la République (Félix Antoine Tshisekedi, Ndlr) que je me suis dit que finalement il y avait des hommes politiques qui comprennent les questions écologiques de notre pays. J’ai donc été motivé et je me suis dit que peut-être si cela ne m’apportait pas de l’aide au moins on ne refuserait pas mon projet. Je me dis toujours que si je réussis à Kinshasa je peux réussir partout. L’environnement dans cette ville est assez difficile à maîtriser et donc si ça marche, ça peut marcher n’importe où sur le continent et dans le monde.

Des propos recueillis par Jean Marie Takouleu et Habib Tizi (stagiaire)

 

 

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