« Le swap dette contre nature, un modèle adapté pour le bassin du Congo »

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Pierre Cailleteau et Hamouda Chekir: « « le swap dette contre nature » … adapté pour le bassin du Congo » ©Afrik21

La banque Lazard vient d’assister l’Équateur dans le cadre d’un montage financier bénéfique à la fois pour la nature et l’économie du pays. Concrètement, l’Équateur a échangé sa dette actuelle de 1,63 milliard de dollars contre une dette de 656 millions dollars, une transaction qui correspond à 3 % de la dette extérieure totale du pays d’Amérique du sud, soit 48,129 milliards de dollars en février 2023. En contrepartie de l’annulation de cette dette extérieure, l’Équateur assurera le financement des mesures de protection des Galápagos, un archipel classé au patrimoine de l’humanité. La rédaction d’Afrik21 s’est entretenue avec Pierre Cailleteau, associé gérant et Hamouda Chekir, gérant, qui sont tous deux, des membres de l’équipe Conseil aux gouvernements de la banque d’affaires pour décrypter ce mécanisme financier et questionner sa faisabilité dans les pays du bassin du Congo.

Afrik21 : Dans quel contexte avez-vous imaginé ce mécanisme, et quelles sont les conditions requises pour sa mise en place ?

Pierre Cailleteau : il faut tout d’abord rappeler que ce type d’opération existe depuis très longtemps. En effet, dans les grandes opérations de réduction de dette du début des années 80, et même dans les années 2000 avec notamment l’initiative Pays pauvre et très endetté (PPTE), il y a eu des opérations de conversion de dette. Le trésor Français par exemple, avait un programme spécifique qui s’appelait le C2D (conversion de dette), qui était lié à ces allègements de dette, dans le cadre du Club de Paris. C’est ainsi que la banque Lazard a travaillé sur la restructuration de la dette de la Côte d’Ivoire vis-à-vis du Club de Paris. Et il y avait un élément du C2D, celui d’un allègement additionnel, qui était lié à des engagements en matière d’investissement pour la biodiversité. Cela a été fait également pour le Gabon, pour ne citer que ces deux pays.

La différence avec ce schéma est que l’on ne fait pas de la conversion sur de la dette bilatérale, mais sur de la dette de marché. Nous profitons des conditions de marché particulières, pour générer des économies pour le pays, et des sources de financements pour des programmes de conservation.

Dans le cas précis de l’Équateur, il s’agit de la conservation marine, c’est-à-dire la préservation des espaces marins au tour des Galápagos. Et les ingrédients de la réussite de cette opération sont les suivants : d’abord, il s’agit d’un pays qui a restructuré sa dette de marché en 2020. Ayant mis sa dette en post-restructuration, le pays traitait en décote, avec des obligations en dessous d’un dollar, ce qui est particulièrement intéressant. Deuxièmement, c’est un pays qui a toujours été engagé en matière de conservation, à la fois de la forêt et des espaces marins, notamment les Galápagos. Ainsi le pays était dans l’écran radar des ONG qui promeuvent les opérations Swap. C’est le cas du Pew Charitable Fondation, organisation non gouvernementale (ONG) américaine active dans les Galápagos, qui a identifié pour le compte de l’Équateur, ce type d’opération, et en a obtenu des garanties auprès du US DFC (U.S. International Development Finance Corporation).

C’est à partir de cette étape que nous sommes intervenus en tant que conseil de l’Équateur. Nous avons optimisé la structure, de façon à maximiser le montant à racheter, et minimiser le prix de rachat, afin que les bénéfices de l’opération soient dédiés à la conservation des Galápagos.

Afrik21 : Quelles garanties ont été mises en place pour s’assurer que le gouvernement équatorien respecte ses engagements en faveur de la préservation de la biodiversité des îles Galápagos ?

Pierre Cailleteau : Ces garanties sont doubles. Il y a d’abord la transparence du processus, c’est-à-dire que chacun sait exactement comment cela s’est passé,  et le montant d’argent qui est alloué. Et deuxièmement, il y a la crédibilité des institutions locales, qui elles, ont un budget à utiliser pour la préservation de la zone maritime. Et à ce niveau, il faut souligner que les nouveaux prêts prévoient des pénalités en cas de manquement important, et pour une durée prolongée, et des engagements en matière de conservation. C’est fondamentalement le mélange de la transparence du processus et de la crédibilité des acteurs.

Afrik21 : Ce type d’opération est-elle réplicable en Afrique, notamment pour les pays du Bassin du Congo, qui regorgent le deuxième poumon vert de la planète ?   

Hamouda Chekir: C’est tout à fait réplicable en Afrique. Premièrement, parce sur le continent il y a beaucoup de pays qui ont un montant très important de dettes obligataires, et qui ont des problèmes de refinancement de ces dettes. D’ailleurs d’ici à 2025, il va y avoir un mur de refinancement de la dette en Afrique subsaharienne, et comme vous le savez, la dernière fois qu’un souverain africain a émis de la dette obligataire, remonte à 18 mois. Il y a donc un problème de manque de ressources, pour aider les souverains africains, à refinancer les dettes obligataires qu’ils ont émis entre 2010 et 2020. Et c’est en cela que le Swap « dette contre nature » peut être intéressant pour les pays africains.

Le but de ce type d’initiative est de préserver des espaces très visibles, qui ont des externalités positives pour l’ensemble de la planète, et qui sont des foyers de biodiversité. En cela le bassin du Congo est effectivement une zone particulièrement intéressante.

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Afrik21 : La Banque Lazard conseille des gouvernements, y compris en Afrique. Compte-t-elle appuyer davantage ce modèle en lieu et place de l’annulation pur et simple de la dette ?   

Hamouda Chekir : Nous sommes tout à fait disposés à accompagner les gouvernements d’Afrique centrale vers ce modèle de financement de la biodiversité. D’autant plus qu’il s’agit de notre cœur de métier, de notre expertise financière. En tant que banque citoyenne, nous sommes contents de participer à des mécanismes financiers qui dirigent l’argent vers des besoins de préservation de la biodiversité.

Afrik21 : En dehors de ce modèle, quels autres moyens conseillez-vous pour un meilleur financement de la biodiversité en Afrique, notamment en Afrique centrale, où les forêts tropicales du bassin du Congo reçoivent des flux marginaux.

Pierre Cailleteau : beaucoup d’autres mécanismes financiers existent. Il s’agit des modèles qui ne font pas réduire la dette, mais qui apportent de l’argent nouveau, pour protéger la biodiversité. Nous travaillons aussi entre autres, sur les émissions d’obligations vertes, qui sont beaucoup plus exigeantes et fondées sur des objectifs de soutenabilité avec des critères liés à des politiques de biodiversité. Ainsi les taux d’intérêts payés par l’État vont croître ou baisser, en fonction de l’atteinte, ou non, des objectifs de biodiversité fixés.

Mais Swap « dette contre nature » est particulièrement adapté pour les pays d’Afrique. Car la beauté avec ce mécanisme, c’est qu’il exploite le fait que les taux dans le monde ont augmenté, et que par conséquent, il y a des décotes significatives sur la dette de beaucoup de pays africains. Les modèles de financement traditionnel, basés simplement sur la mobilisation de l’argent, sont très déterminés par les niveaux des taux d’intérêt, qui de nos jours sont malheureusement très élevés.

Pour proposer davantage de solutions de financement adapté, Lazard a créé il y a deux ans, un centre de recherche sur le climat (le Lazard climate center), où toutes les réflexions sur les financements innovants pour la protection de l’environnement sont au centre des préoccupations.

Afrik21 : Selon vous, que peut-on attendre du sommet pour un nouveau pacte financier mondial, qui se tient actuellement à Paris ?

Pierre Cailleteau : Nous sommes dans un contexte où l’accès des pays Africains ou des pays en voie de développement au marché des capitaux est très restreint, voire inexistant. Et ce sommet semble être une bonne occasion pour discuter des outils dont dispose notamment le secteur privé pour restructurer la dette de ces pays. La détresse financière des pays représente l’obstacle numéro un au traitement des problèmes climatiques. Et le fait de concentrer les attentions, notamment celles des principaux créanciers du monde, est un signal important vers la résolution des problèmes qui nous sont chers, à savoir la biodiversité et le climat.

Propos recueillis par Boris Ngounou et Delphine Chène

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