«Les centrales au fil de l’eau relèvent mieux les défis environnementaux et sociaux» 

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« Les centrales au fil de l’eau relèvent mieux les défis environnementaux et sociaux » © Samuel Zekri

Avec un portefeuille de projets de 320 MW en exploitation et en développement dans plusieurs pays en Afrique, Hydroneo East Africa fait partie des étoiles montantes de l’échiquier énergétique du continent. L’entreprise s’est spécialisée dans la construction de centrales au fil de l’eau. Pour son fondateur Samuel Zekri qui se réjouit de la relance officielle de son projet de Mpanda de 10 MW au Burundi, ces types de centrales présentent un certain nombre d’atouts, notamment sur le plan social et environnemental.

Avec un portefeuille de projets de 320 MW en exploitation et en développement dans plusieurs pays en Afrique, Hydroneo East Africa fait partie des étoiles montantes de l’échiquier énergétique du continent. L’entreprise s’est spécialisée dans la construction de centrales au fil de l’eau. Pour son fondateur Samuel Zekri qui se réjouit de la relance officielle de son projet de Mpanda de 10 MW au Burundi, ces types de centrales présentent un certain nombre d’atouts, notamment sur le plan social et environnemental.

AFRIK 21 : Le gouvernement du Burundi vient d’approuver le contrat d’achat d’électricité (CAE) pour la centrale hydroélectrique de Mpanda. Cette décision permettra-t-elle la relance officielle du projet ?

Samuel Zekri : C’est une bonne nouvelle. Concrètement, le décret approuve le partenariat public-privé (PPP) et le CAE. C’est un PPP modèle dans lequel le gouvernement burundais apportera son soutien dans l’obtention des permis, la gestion du foncier et la sécurisation des revenus du projet à terme, à travers le CAE qui est véritablement bancable. L’acteur privé que nous sommes, apportons l’expertise technique, les ressources financières et la gestion efficaces des risques du planning, des coûts et la qualité du projet. C’est donc une vraie synergie entre l’acteur public et l’acteur privé.

Et donc, nous sommes ravis de cette validation par décret présidentiel qui arrive après quatre ans de développement. Le gouvernement a démarré le projet en 2011 avant de l’arrêter en 2015. Hydroneo rentre dans le projet via un premier protocole d’accord en 2019. Depuis lors, nous avons travaillé sur plusieurs aspects. Nous avons redésigné complètement le projet, puisqu’initialement, le gouvernement tablait sur un barrage de 40 mètres de hauteur qui allait inonder 120 hectares de la forêt sacrée de Kibira. Donc, avec un impact environnemental énorme. Il était question de baisser le niveau du barrage à 10 mètres, réduisant la zone inondée à 5 hectares.

Nous avons également mis en place différents partenariats avec le ministère burundais de l’Énergie, l’Office burundais pour la protection de l’environnement (OBPE) avec la mise en place de conventions de gestion, la Régie de production et distribution d’eau et d’électricité (Regideso) pour le CAE et la connexion au réseau, la structuration financière, et bien sûr l’étude environnementale et sociale aux standards internationaux, qui va permettre de rendre le projet bancable.

Où en êtes-vous avec la mobilisation financière ?

Chez Hydroneo, nous internalisons la capacité technique avec notre équipe composée d’experts également présents dans les pays pour gérer la partie obtention de permis et compréhension du tissu local. Pour la partie financière, nous avons un partenariat stratégique avec Finergreen, une société spécialisée dans la structuration financière des projets d’énergies renouvelables en Afrique. Avec Finergreen, nous avons sélectionné des partenaires de premier plan notamment la Renewable Energy Performance Platform (REPP) qui a déjà participé à la première levée de fonds d’Hydroneo sur le projet de Mpanda, avec un engagement de 4 millions d’euros.

En ce qui concerne la tranche de dette, il y a un bon nombre de bailleurs internationaux qui ont manifesté leurs intérêts. Nous sommes par exemple en discussion assez avancée avec certains d’entre eux, et nous serons en mesure d’annoncer les groupes de préteurs qu’on aura sélectionnés d’ici peu. Nous tablons sur 75 % de dette, et 25 % de fonds propre, equity ou quasi-equity, financés par Hydroneo East Africa et notre co-investisseur, la REPP.

Quand allez-vous réaliser la clôture financière ?

Nous espérons atteindre la clôture financière dans les 12 prochains mois.

Revenons sur l’aspect technique du projet de Mpanda. Le gouvernement du Burundi voulait construire une centrale hydroélectrique avec une retenue d’eau. Hydroneo a plutôt opté pour une centrale au fil de l’eau. Quelle différence faites-vous entre ces deux techniques ?

Hydroneo a pour mission de fournir une électricité propre, dans le respect de la faune, de la flore et de la population. Et donc, tous nos projets visent la construction de centrales au fil de l’eau. Cela veut dire qu’on va turbiner l’eau à mesure qu’elle s’écoule dans le fleuve. La production de l’électricité est complètement concomitante avec le débit de l’eau dans la rivière, à la différence d’une centrale à réservoir qui va disposer d’un barrage en général assez haut, pour le stockage de l’eau. Qui dit stockage de l’eau dit également une vaste zone inondée, avec un impact social et environnemental conséquent.

Sur nos centrales au fil de l’eau, nous avons l’avantage d’avoir un faible impact environnemental et social. Néanmoins, nous perdons la possibilité d’avoir ce réservoir d’eau qui permet la flexibilité au niveau de la production. C’est-à-dire, sur ces types de centrales, on va avoir besoin de prédire l’écoulement de la rivière. Pour ce faire, nous faisons une étude approfondie sur l’hydrologie pour savoir quel sera le débit de la rivière sur le long terme. Nous essayons de définir la centrale de sorte qu’elle ne soit pas surdimensionnée. Le danger est de surdimensionner une centrale qui au finale, va turbiner moins d’eau.

On regarde d’assez près les nouvelles technologies, notamment l’analyse de toutes ces données par l’intelligence artificielle pour arriver à corréler la pluviométrie dans le bassin versant avec l’écoulement à un point donné de la rivière. Après, il y a d’autres moyens de stabiliser cette arrivée d’eau, par exemple l’entretien du bassin versant, c’est-à-dire le réceptacle de l’eau de pluie qui mène jusqu’au point de la rivière qui nous intéresse. Un bassin versant qui est bien végétalisé va mieux réguler l’eau de pluie qui arrive au point qui nous intéresse.

Une telle centrale est-elle adaptée pour les grands cours d’eau ?

Les petits cours d’eau sont plutôt en altitude. Mais dans la vallée, le fleuve s’élargit. Il existe des centrales au fil de l’eau très vastes. Et nous savons adapter les barrages au fil de l’eau à de grands fleuves.

Les centrales au fil de l’eau ne sont-elles pas plus exposées à la sécheresse ?

Il y a des zones naturellement sèches, qui ne sont pas très propices à l’implémentation de ce type de centrale. Nous ciblons plus les zones proches de l’équateur, où on redoute plutôt les changements de saisons, avec des périodes d’énormes averses et des périodes plus sèches. On va avoir le même volume d’eau qui va être moins bien reparti. C’est pourquoi il est important de bien mener les études en amont pour qu’on puisse prévoir ces changements de saison.

Hydroneo prévoit de mettre en place de telles infrastructures dans plusieurs pays d’Afrique subsaharienne, avec un portefeuille de projets en construction et en développement au Rwanda, en Tanzanie, au Kenya, au Gabon et en Sierra Leone. Comment sont identifiés ces sites ? 

Hydroneo que j’ai créé il y a 6 ans a effectivement commencé au Rwanda. Nous avons d’ailleurs démarré la première centrale en début d’année 2023. Nous avons deux autres centrales en construction dans ce pays. Depuis, nous poursuivons l’extension de nos activités en Afrique de l’Est, notamment en Ouganda, au Kenya, en Tanzanie, au Burundi, et récemment, nous avons signé des protocoles d’accord au Gabon et en Sierra Leone pour un portefeuille de 31 projets, soit une capacité totale de 320 MW. D’autres pays sur le continent sont à l’étude.

Vous sélectionnez les sites en fonction de quel paramètre ?

Pour un bon site, il faut : premièrement un cadre légal favorable, c’est-à-dire un procès d’obtention de permis bien défini et un contrat d’achat d’électricité (CAE) bancable. Deuxièmement, il faut une configuration technique qui permet d’implémenter le projet, c’est-à-dire les aspects hydrologiques, topographiques, géotechniques pour la stabilité des ouvrages. Ces aspects techniques doivent nous permettre de faire une conception qui assure d’obtenir une électricité à prix de marché.

Quid des infrastructures d’évacuation d’électricité ?

Effectivement. Et aussi les infrastructures d’accès. C’est très important, puisque vous pouvez avoir un site qui comporte toutes les caractéristiques requises, mais s’il faut faire 100 km de route ou de ligne de transmission dans une forêt tropicale gabonaise, du point de vue de la viabilité financière, ça ne va pas marcher. Et puis, il faut qu’on puisse implémenter le projet dans le respect des contraintes sociales et environnementales.

Aujourd’hui, plus de 550 millions d’Africains n’ont toujours pas accès à l’électricité. La solution la plus rapide envisagée un peu partout en Afrique est le solaire, puisque relativement facile à mettre en place et moins coûteux. N’est-ce pas aussi ce qui explique le faible engouement des partenaires financiers pour la petite hydroélectricité ?

C’est vrai qu’il y a un engouement pour le solaire. Un petit peu pour l’éolien, mais surtout pour le solaire. Aujourd’hui, il y a une vraie frénésie en Afrique puisqu’il y a entre 550 et 600 millions de personnes qui ne sont pas raccordées à l’électricité. Il y a une urgence et on va avoir besoin de toutes les sources, que ce soit le solaire, l’éolien, l’hydroélectricité ou la géothermie. Il faut pousser sur tous les fronts. Chaque solution a ses avantages et ses inconvenants.

Effectivement, le solaire est plus rapide à implémenter, mais il est intermittent. L’Hydro fournit au réseau une électricité stable, mais contient de nombreux challenges techniques à relever. Ce sont ces challenges techniques qu’il faut arriver à adresser pour faire en sorte que les projets hydroélectriques puissent se développer davantage.

Le temps de mise en œuvre des projets hydroélectriques reste assez long. Peut-on construire une centrale hydroélectrique en deux ou trois ans ?

Déjà, il faut remettre dans le contexte, le temps long. Quand on construit une centrale hydroélectrique, c’est pour une durée de 100 ans et plus. Un temps de préparation est nécessaire pour implémenter un tel projet. Pour raccourcir ce délai, il faut maitriser trois choses. D’abord la technique, parce que dès l’identification du site, il faut avoir les compétences nécessaires pour déterminer la viabilité du projet. Il y a beaucoup trop de projets développés par des gens dont ce n’est pas la spécialité, et qui sont finalement bloqués dans la phase de développement. Avec une compétence technique internalisée, on s’affranchit de ce sujet. Le deuxième atout qu’il faut avoir, c’est la compréhension de l’environnement locale, c’est-à-dire avoir les équipes locales qui vont savoir naviguer dans l’environnement du pays, trouver les bons partenaires, obtenir les permis dans les délais courts. Et le troisième point c’est de maitrise de la mécanique financière, c’est-à-dire avoir des ressources pour financer en fond propre le développement du projet, savoir structuré le financement et avoir de bons partenaires financiers pour mener à bien le projet.

Ce sont tous ces facteurs qui permettent d’accélérer le développement du projet. Nous sommes à 4 ans déjà avec Mpanda. Car, une reprise de projet est complexe. Mais avec notre organisation, on arrive à réduire les délais.

Comment faciliter et accélérer le développement de la petite hydroélectricité en Afrique ? Les pays africains sont-ils préparés aux PPP ?

On a besoin de travailler avec des pouvoirs publics, ne serait-ce que pour l’obtention des permis. Le gouvernement, c’est la contrepartie qui va nous racheter l’électricité, et c’est souvent lui seul qui peut apporter cette garantie.

Et dans les différents pays, y a-t-il une bonne préparation aux PPP ?

Comme je l’ai déjà précisé, il faut un cadre légal clair et stable. Et jusqu’ici, on a de bons échanges avec les autorités dans les pays où nous opérons.

Donc, c’est plutôt facile de mettre en place des PPP ?

Il y a des challenges dans tous les métiers, sinon, on ne serait pas là.

Et les lenteurs administratives ?

Je vais adresser le sujet différemment. Il y a des lenteurs dans toutes les administrations du monde. Après, on peut entrer dans le détail des procès de chaque pays. Et chaque administration est différente. Mais je constate que les administrations ont envie de faire avancer les choses, malgré les contraintes administratives. Après, c’est à nous de comprendre et d’aider pour faire en sorte que les choses soient plus fluides.

Samuel Zekri, vous avez fondé Hydroneo il y a 6 ans. Comment vous retrouvez-vous à développer des projets hydroélectriques en Afrique ?

J’aimerais pouvoir vous dire que j’ai toujours voulu opérer en Afrique, maintenant que j’y suis, je l’oublie. Sinon, c’est un concours de circonstances. J’ai développé la branche investissement hydro d’un groupe français de fabrication de turbines. À l’époque, j’avais proposé de lever des fonds pour éviter de financer les projets en fonds propres dans les pays en développement, en Asie du Sud-est, en Amérique latine et en Afrique. Par hasard, l’ensemble des fonds voulait investir en Afrique et les premières plateformes de développement que j’ai montées ont été africaines. Du coup, je me suis pris d’affection pour le continent.

Des propos recueillis par Jean Marie Takouleu à Paris

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