Déchets plastiques : panorama des législations répressives des pays africains (1/2)

Juriste en droit de l’environnement

Huglo Lepage Avocats

Publié le

Les lois nationales pour lutter contre la pollution plastique se multiplient en Afrique. Chancia Plaine, juriste en droit de l’environnement au cabinet Huglo Lepage Avocats, décrypte pour Afrik 21 les législations consacrant des peines d’emprisonnement et des amendes. Le deuxième volet de cet article devrait être publié d’ici un mois.

Les quantités importantes de sacs plastiques jetés dans la nature et non collectés peuvent empêcher l’eau de circuler dans les canalisations et ainsi causer des inondations dramatiques pour l’environnement. Le récent torrent de déchets plastiques qui s’est déversé dans le port de Durban en Afrique du sud suite à de fortes pluies, nous invite à questionner les stratégies de lutte contre la pollution plastique mise en œuvre par les gouvernements africains. En effet, la pollution plastique constitue une menace sérieuse pour l’environnement, la biodiversité, et a des conséquences néfastes sur la santé publique. Quelles réponses juridiques des gouvernements africains face à ce désastre environnemental ?

Le plastique est néfaste pour la préservation de l’environnement. Les sacs plastiques peuvent mettre plusieurs dizaines d’années à se dégrader dans la nature. Ils ne sont pas seulement dangereux pour l’environnement, les animaux, mais représentent aussi une menace pour la santé humaine. Selon la Banque africaine de développement(BAD), chaque année 500 milliards de sacs plastiques sont utilisés dans le monde, dont une grande partie des résidus plastique viennent polluer les océans, plus de 100 000 animaux marins meurent chaque année à cause des plastiques et 83 % de l’eau du robinet contient des particules plastiques. En 2018, la Journée mondiale de l’environnement des Nations Unies visait à sensibiliser à la lutte contre la pollution plastique dans le monde. Les pays africains se sont mobilisés en adoptant différentes stratégies afin d’endiguer la pollution plastique à l’échelle nationale. Le Rwanda est le pays pionnier en la matière avec sa loi datant de 2008, mais c’est le Kenya qui a adopté l’une des législations la plus répressive. Selon un récent rapport de l’ONU publié en novembre 2018 sur la législation mondiale en matière de plastique, d’autres États africains ont mis en œuvre des normes visant à interdire la prolifération et l’utilisation du plastique. On compte à ce jour trente-quatre pays africains ayant adopté une législation contre la pollution de sacs plastique : la Tanzanie est la dernière sur cette liste.

Une vingtaine d’États africains tels que l’Angola, la République centrafricaine, les Comores, l’Égypte le Libéria, la Libye, le Nigeria, les îles Sao Tomé-et-Principe sont à la traine, car ils réglementent uniquement l’élimination des plastiques au niveau national à travers le régime juridique des déchets solides et des ordures ménagères. La Guinée équatoriale, la Guinée, la Sierra Leone, la Somalie, le Sud-Soudan, et le Soudan n’ont pas de loi nationale sur la gestion des déchets solides trouvés. Au Ghana, il existe une loi sur les déchets dangereux et électroniques qui couvre le recyclage des déchets dangereux pour l’environnement.

Cet article vise à exposer le cadre juridique relatif à la lutte contre la pollution plastique dans le contexte africain qui est pour le moment construit autour de lois nationales. En effet, la législation de chaque pays est construite autour d’une stratégie gouvernementale définie pour lutter contre la pollution plastique : le Rwanda reste l’un des États africains chef de file dans la lutte contre la pollution plastique (I). D’autres États comme l’Afrique du Sud, le Kenya et le Sénégal ont forgé leur législation autour d’une pénalisation stricte en témoignent les peines d’emprisonnement et d’amendes attribuées (II). Récemment, la Tanzanie est venue rejoindre le mouvement en instituant un cadre législatif en la matière (III). L’objectif de notre propos dans ce premier focus est de constater la multiplication des lois nationales en Afrique, particulièrement dans les États précités.

La législation rwandaise, pionnière en matière de lutte contre la pollution plastique

Kigali fait partie des 10 villes les plus propres, selon un classement de l’ONU. Le gouvernement rwandaisa lancé le mouvement « réforme du plastique en Afrique » en interdisant les sacs en plastique dès 2008. Le Rwanda a également réussi en créant l’agence environnementale « Rwanda Environmental Management Authority » (REMA) qui a lancé une campagne d’information importante.

L’instauration de la loi n° 57/2008 du 10 septembre 2008relative à l’interdiction de fabrication, d’importation, d’utilisation et de vente de sacs en polyéthylène au Rwanda, a été une étape majeure. Cette loi est particulièrement innovante, car l’article 2 définit le sachet en plastique au regard du droit rwandais qui s’entend comme « un matériel synthétique de faible densité, composé de plusieurs molécules chimiques simples appelées éthylène de formule chimique CH2=CH2 ». L’article 3 de la loi pose l’interdiction. Il dispose en effet que « la fabrication, l’utilisation, l’importation et la commercialisation des sachets en plastique sont interdites au Rwanda ». L’article 4 pose le principe des utilisations exceptionnelles et essentielles. Aux termes de cet article, « sans préjudice des dispositions de l’article 3 de la présente loi, un arrêté du Premier ministre détermine la liste des types de sachets en plastique qui pourront être exceptionnellement utilisés au Rwanda. Cette liste est actualisée chaque fois que de besoin ». L’article 5 traite de l’autorisation. Il dispose que « dans le cadre des dispositions de l’article de la présente loi, toute personne qui désire fabriquer, utiliser, importer, commercialiser des sachets en plastique adresse une demande d’autorisation écrite à l’Office rwandais de Protection de l’environnement. La demande doit être dûment motivée et présenter les modalités de gestion des déchets issus de l’utilisation de ces sachets en plastique ». Le même texte poursuit « le requérant doit obtenir la réponse dans un délai ne dépassant pas 20 jours ouvrables ».

L’article 6 traite du contrôle. Il dispose que « les institutions habilitées à exercer le contrôle de l’utilisation des sachets en plastique sont la police judiciaire, les agents de la douane, le personnel de l’Office rwandais de Protection de l’Environnement, le personnel de l’Office Rwandais de Normalisation, les organes en charge de la sécurité nationale, les autorités locales et autre personnel nécessaire désigné par arrêté du ministre ayant la Justice dans ses attributions ». L’utilisation illégale de sacs en plastique peut entraîner des amendes ou une peine d’emprisonnement. En effet, l’article 7 traite des peines, et dispose que « quiconque agit à l’encontre des dispositions de la présente loi encourt les peines suivantes : les industries qui fabriquent les sachets en plastiques, les entreprises commerciales ou toute personne physique ayant dans leurs stocks des sachets en plastique interdits sans autorisation en les fabriquant ou en les utilisant, sont punies d’une peine d’emprisonnement de 6 à 12 mois et d’une amende de 100 000 francs rwandais à 500 000 francs rwandais ou de l’une de ces 2 peines seulement. Toute personne non autorisée qui vend des sachets en plastique est punie d’une amende de 10 000 à 300 000 francs rwandais. Toute personne non autorisée qui utilise des sachets en plastique est punie d’une amende de 5000 à 100 000 francs rwandais et ses sachets sont confisqués. Tous les sachets appartenant aux catégories mentionnées dans cet article sont confisqués et gardés dans un entrepôt aménagé à cet effet par l’Office rwandais de Protection de l’Environnement (REMA). En cas de récidive ces sanctions sont doublées ». L’article 8 traite des dispositions finales. Il dispose en effet que « toutes les dispositions antérieures et contraires à la présente loi sont abrogées ». L’article 9 dispose que « la présente loi entrera en vigueur le jour de sa publication au Journal officiel de la République du Rwanda ».

Cette loi semble aujourd’hui être bien appliquée, en atteste, par exemple, l’échange de sacs en matière plastique qui sont remplacés contre d’autres, élaborés en composants biodégradables à l’aéroport à Kigali. Dans cette région, les dirigeants étaient convaincus que la réussite de l’éradication des plastiques dans un pays dépend de la volonté de tous les pays limitrophes de prendre la même décision. En appui à leur décision, ils ont institué des sanctions pécuniaires sous forme d’amendes. En effet, il est prévu que « le pays qui enfreint cette loi devra payer une amende de 50 000 dollars américains en plus de sanctions limitées conçues pour dissuader les pays membres d’importer des substances dangereuses pour l’environnement ». L’exemple de la législation plastique au Rwanda a d’ailleurs fait école en Afrique de l’Est où le parlement de la Communauté économique des pays de l’Afrique de l’Est, a promulgué une loi interdisant l’utilisation et l’importation des sacs en plastique au sein des pays membres de la communauté.

Les trois autres pays africains ayant institué des peines d’emprisonnement et amendes

L’Afrique du sud (a), le Kenya (b) et le Sénégal (c) ont des législations contre la pollution plastique qui nécessitent une brève analyse en termes de pénalisation.

1. La législation sud-africaine

L’Afrique du Sud a adopté en 2003 le « Regulations under section 24 (d) of the environment conservation act (Act No. 73 of 1989) – Plastic carrier bags and plastic flat bags », législation interdisant les sacs en plastique de moins de 30 µm d’épaisseur et imposant une taxe sur les sacs plus épais (nous reviendrons sur le mécanisme de taxation dans une prochaine contribution). Par conséquent, il est interdit de fabriquer, de faire du commerce et de la distribution commerciale de sacs en plastique produits et importés au pays.

L’article 2 pose l’interdiction en ces termes : « The manufacture, trade and commercial distribution of domestically produced and imported plastic carrier bags and plastic flat bags, for use within the Republic of South Africa, other than those which comply with paragraph 4 and 5 of the Compulsory Specification, is hereby prohibited ». Des amendes sont prévues en cas de manquement aux exigences fixées par la loi et jusqu’à dix ans d’emprisonnement : « (1) Any person who contravenes regulation 2 shall be guilty of an offence and liable on conviction- (a) to a fine or (b) to imprisonment for a period not exceeding 10 years or (c) to both such a fine and such imprisonment; and (d) to a fine not exceeding three times the commercial value of anything in respect of which the offence was committed ».

Cette nouvelle loi permet aux détaillants de vendre des sacs en plastique, mais pas de distribuer les sacs gratuitement.

2. La législation kényane

Le gouvernement kenyan a tenté de mettre en œuvre une réforme plastique à trois reprises en dix ans, avec deux tentatives infructueuses en 2007 et 2011.

Dans un avis au journal officiel du pays daté du 28 février 2017 (Avis de publication dans la Gazette n° 2356), le secrétaire du Cabinet chargé de l’environnement et des ressources naturelles, Judi W. Wakhungu, a annoncé l’interdiction de l’utilisation, la fabrication et l’importation de tous les sacs en plastique utilisés à des fins commerciales et d’emballage domestique. Depuis août 2017, l’interdiction s’applique à deux catégories de sacs, d’une part, le sac de transport, un « sac construit avec des poignées et avec ou sans soufflets », et d’autre part le sac plat, un « sac construit sans poignées et avec ou sans soufflets ».

Le Kenya a mis en place une peine d’emprisonnement pouvant aller jusqu’à quatre ans ou une amende pouvant aller jusqu’à 40 000 USD pour les contrevenants. Soulignons également qu’en mai 2014, la ville de Nairobi s’est saisie d’un acte règlementaire, The Nairobi city county plastic carry bags control bill, visant à contrôler l’utilisation des sacs plastiques.

3. La législation sénégalaise

La loi n° 2015-09 du 4 mai 2015vise l’interdiction de la production, de l’importation, de la détention, de la distribution, de l’utilisation de sachets plastiques de faible épaisseur et à la gestion rationnelle des déchets plastiques. Cette législation sénégalaise interdit non seulement la production et l’importation de sacs en plastique d’une épaisseur inférieure à 30 microns (article 2), mais également la possession et l’utilisation des sacs plastiques d’une épaisseur supérieure ou égale à 30 microns (article 3).

Les opérateurs du secteur du plastique sont tenus de proposer aux ménages et autres utilisateurs, un système de collecte ou de reprise des déchets plastiques en vue de leur valorisation, recyclage ou élimination (article 6).

En cas d’infraction à la législation, les contrevenants pourraient être passibles d’une peine d’emprisonnement assortie d’amendes. Par exemple, la production ou fabrication de sachets plastiques en infraction aux dispositions de l’article 2 de la présente loi est punie d’une amende de 10 000 000 à 20 000 000 francs CFA et d’un emprisonnement de trois mois à six mois ou de l’une de ces deux peines seulement (article 10). L’importation sur le territoire national de sachets plastiques d’une épaisseur inférieure à 30 microns est une infraction douanière constatée, poursuivie et punie conformément aux dispositions du Code des Douanes (article 11). L’utilisation, la détention en vue de la mise en vente, la mise en vente et la vente ou la distribution à titre gratuit de sachets plastiques d’une épaisseur inférieure à 30 microns sont punies d’une amende de 20 000 à 50 000 francs CFA (article 12). Est puni d’une amende de 10 000 à 30 000 francs CFA quiconque abandonne ou jette des déchets plastiques ailleurs que dans les points de collecte ou de reprise prévus à cet effet (article 14). Les personnes morales autres que l’Etat, les collectivités locales et les établissements publics sont pénalement responsables des infractions prévues par la présente loi, commises pour leur compte par leurs organes ou représentants. La responsabilité des personnes morales n’exclut pas celle des personnes physiques, auteurs ou complices des mêmes faits (article 15). Les peines encourues par les personnes morales auteurs de l’infraction sont punis soit d’une amende dont le taux maximum est égal au quintuple de celui prévu pour les personnes physiques par la loi qui réprime l’infraction, soit de la fermeture définitive ou pour une durée de cinq ans au plus d’un ou de plusieurs des établissements de l’entreprise ayant servi à commettre les faits incriminés, soit de la confiscation de la chose qui a servi ou était destinée à commettre l’infraction ou de la chose qui est le produit ou encore de l’affichage de la décision prononcée ou la diffusion de celle-ci soit par la presse écrite soit par tout moyen de communication au public par voie électronique.

La législation tanzanienne adoptée en mai 2019

La Tanzanie vient d’adopter une législation plastiquepubliée en vertu de l’avis gouvernemental n° 394 du 17 mai 2019 vise à empêcher l’importation, l’exportation, la fabrication, la vente, le stockage, la fourniture et l’utilisation des sacs en plastique, quelle que soit leur épaisseur (article 4). Aux termes de l’article 1er, ce règlement est entré en vigueur en Tanzanie continentale le 1erjuin 2019. Cette législation prévoit également l’interdiction de vendre ou d’offrir à la vente des marchandises emballées dans du plastique à moins que la nature de ces marchandises n’exige un emballage en plastique (article 6).

Par ailleurs, après le 1erjuin 2019 il est interdit à toute autorité compétente d’enregistrer ou de délivrer une licence ou un permis à toute personne qui a l’intention d’importer, d’exporter, de fabriquer ou de vendre des sacs de plastique doivent s’inscrire pour obtenir une licence ou un permis (article 7).

Enfin, ce règlement impose des sanctions sévères aux individus et aux institutions qui seront reconnus coupables d’avoir enfreint le règlement. Par exemple, la fabrication ou l’importation de sacs en plastique et d’emballages en plastique interdits peut entraîner des amendes allant jusqu’à un milliard de shillings ou des peines d’emprisonnement allant jusqu’à deux ans, ou les deux (article 8 a)). De même, la possession et l’usage peuvent entraîner des amendes allant jusqu’à 200 000 shillings ou des peines d’emprisonnement allant jusqu’à sept jours, ou les deux (article 8e)).

***

À ce jour, on dénombre 34 pays africains qui ont adopté une législation en vue de lutter contre la pollution plastique.

Voici la liste récapitulative de ces États par sous-régions africaines :

 

Sous-régions africaines

Total des États de la sous-région ayant adopté une législation contre la pollution plastique  

Année de l’adoption de la loi

Afrique du Nord 1 sur 5 États Maroc (loi 2015).
 

Afrique de l’Ouest

 

11 sur 16 États

Bénin (2017), Burkina Faso (2014), Cap-Vert (2016), Côte d’Ivoire (loi 2014), Gambie (2015), Guinée Bissau (2013), Mali (2013), Mauritanie (2013), Niger (2013), Sénégal (2015), Togo (2011).
 

 

Afrique Centrale

 

 

4 sur 8 États

Cameroun (2012), Gabon (2010), République démocratique du Congo (2018), Tchad (1992).
 

 

 

Afrique de l’Est

 

 

 

13 sur 16 États

Burundi (2018), Djibouti (2016), Erythrée (2005), Kenya (2017), Madagascar (2017), Malawi (2015), Maurice (2006), Mozambique (2015), Ouganda (2018), Tanzanie (2019), Rwanda (2008), Seychelles (2017), Somaliland (2015).
 

Afrique australe

 

5 sur 8 États

Afrique du Sud (2003), Botswana (2018), Namibie (2018), Zambie (2009), Zimbabwe (2010).

 

Dans ce premier focus de l’étude des législations nationales africaines relatives à la lutte contre le fléau du plastique, nous avons analysé les lois les plus significatives et innovantes en la matière. Le Rwanda est le pays chef de file du continent et de la région de l’Afrique de l’Est dans la prise de conscience de la menace plastique sur la santé et l’environnement. Le Sénégal, le Rwanda et le Kenya ne déméritent pas dans ce mouvement, car leurs lois prévoient des peines d’emprisonnement et des amendes à toute personne physique ou morale qui contreviendrait à la nouvelle norme adoptée. Par conséquent, nous apporterons dans un second focus à venir des développements sur les autres mécanismes de lutte contre la pollution plastique mis en œuvre par d’autres États africains.

Par Chancia PLAINE
Juriste en droit de l’environnement, Huglo Lepage Avocats
@Chancia Plaine (Twitter) – @DroitEnvAfrique (Twitter)

Lecture complémentaire : UN environment, Legal Limits on Single-Use Plastics and Microplastics: A Global Review of National Laws and Regulations, report, December 2018, 114p.

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