AFRIQUE : l’eau potable au cœur du développement rural

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AFRICA: Drinking water at the heart of rural development © Richard Juilliart/Shutterstock

En matière d’eau, d’assainissement ou d’électricité, les zones rurales africaines accusent un certain retard. Le problème est particulièrement palpable dans un contexte marqué par la recrudescence de maladies hydriques qui frappent plusieurs pays du continent. À l’occasion du Forum mondial de l’eau, qui se tient du 21 au 26 mars 2022 à Dakar au Sénégal, AFRIK 21 fait le point sur l’évolution de l’accès à l’eau potable en zone rurale, les défis à relever et, surtout, les solutions disponibles et testées en Afrique.

Le 6e objectif de développement durable (ODD) de l’Organisation des nations une (ONU) prévoit l’accès universel à l’eau potable et à l’assainissement d’ici à 2030. Mais en Afrique, les progrès sont encore lents. Dans un rapport publié en 2019, l’ONU indique que le taux d’accès à l’eau potable en Afrique subsaharienne est de seulement 24 % et les services d’assainissement de base ne concernent que 28 % d’une population estimée à plus de 1,2 milliard d’habitants.

Avec 17 grands fleuves et 160 lacs qui l’irriguent, le continent africain dispose pourtant de ressources en eau renouvelables abondantes estimées à plus de 5 400 milliards de m3 par an. Le chemin s’avère pourtant encore long pour les pays africains dont l’absence d’infrastructures pour l’eau potable impacte particulièrement les populations rurales. Face à la recrudescence des maladies d’origine hydrique, et la nécessité du développement pour contrer l’exode rural, il devient impératif de travailler sur des solutions adaptées à chaque contexte, y compris la création de nouveaux modèles de financement. Car les réalités sont différentes en fonction de la sous-région concernée et du climat.

L’inégale répartition des ressources en eau en Afrique

L’Afrique dispose de plusieurs écosystèmes plus ou moins favorables à l’abondance des ressources en eau. Dans les écosystèmes arides et semi-arides d’Afrique du Nord, du Sahel, de la Corne de l’Afrique ou d’Afrique australe, le faible taux d’accès à l’eau potable est attribué à la raréfaction de la ressource. Car ces parties du continent africain doivent faire face à un stress hydrique encore accentué par le changement climatique.

Selon le Fonds mondial pour la nature (WWF), 14 pays d’Afrique pâtissent déjà d’une raréfaction de leurs ressources en eau, et on estime que 11 autres pays devraient connaître le même sort à l’horizon 2025. À en croire l’organisation, près de 51 % de la population subsaharienne, soit 300 millions de personnes, ne dispose pas d’accès à une eau de qualité et 41 % ne bénéficient pas de conditions sanitaires décentes.

En revanche, les écosystèmes d’Afrique équatoriale et tropicale sont plutôt bien dotés concernant les ressources en eau. Ces régions disposent d’une quantité importante de rivières, de fleuves et de lacs. La valorisation de ces ressources nécessite toutefois, la mise en place d’infrastructures pour les exploiter.

Les solutions d’approvisionnement en eau en zone rurale

Dans les zones rurales en Afrique, surtout au sud du Sahara, les autorités responsables de la gestion de l’eau misent davantage sur des adductions d’eau potable (AEP) pour l’approvisionnement des populations. Également utilisés dans les villes secondaires, ces systèmes sont notamment installés dans les villages densément peuplés. Un AEP est composé d’une prise d’eau de moins grande envergure dans une rivière ou à travers un forage dans la nappe phréatique, d’une station de traitement et d’un château qui fournit de l’eau aux populations via des bornes-fontaines ou des branchements domestiques.

À côté de ces mini-réseaux de distribution d’eau potable, ce sont les pompes à motricité humaines qui sont privilégiées dans certaines localités. Elles fournissent de l’eau à la population à travers un forage aménagé. Mais dans certains pays africains, à l’instar de la Côte d’Ivoire, ces installations sont progressivement remplacées par des systèmes de pompage à l’énergie solaire.

L’usage de systèmes modulaires

Les systèmes modulaires prennent de plus en plus de l’ampleur dans la gestion de l’hydraulique rurale. Ces solutions, très souvent préfabriquées et conteneurisées, permettent la mise en œuvre rapide des projets d’eau potable en zone rurale. À l’image des Unités compactes degrémont (UCD), fabriquées par le groupe français Suez, ces solutions modulaires permettent aussi bien le traitement de l’eau de surface que de l’eau pompée à partir de la nappe phréatique. Ces dernières années, les projets d’approvisionnement en eau potable faisant appel à des solutions décentralisées ont été déployés en Afrique de l’Ouest, principalement au Mali ou encore en Côte d’Ivoire dans le cadre de l’ambitieux programme « Eau pour tous ».

Le dessalement de l’eau

Les systèmes conteneurisés de dessalement de l’eau sont également utilisés dans les zones rurales en Afrique, notamment dans certains pays côtiers sujets au manque d’eau douce. Ces systèmes permettent aussi bien le traitement de l’eau de mer que de l’eau saumâtre. Très souvent pointés du doigt pour leur caractéristique énergivore, les promoteurs de ces solutions de dessalement, des start-up pour la plupart, misent désormais sur les énergies renouvelables pour approvisionner leurs installations de production d’eau potable.

Les habitants de Motongwe découvrent le système de dessalement de l’eau de Boreal Light © GreenTech Capital

Ces solutions sont principalement déployées en Afrique de l’Est, en Somalie, au Kenya ou encore en Tanzanie. L’une des start-up les plus en vue sur ce segment est sans doute la société allemande Boreal Light, qui noue des partenariats avec des acteurs locaux, y compris des organisations à but non lucratif. Ces derniers mois, l’entreprise dirigée par Hamed Beheshti a multiplié les projets dans les zones rurales, principalement dans les structures de soin de santé, dans un contexte marqué par la pandémie de Covid-19.

La question de la maintenance des installations hydrauliques en zone rurale

L’un des problèmes récurrents liés à l’hydraulique rurale concerne la maintenance des installations existantes. Un forage équipé de pompe à motricité humaine qui tombe en panne condamne tout un village à parcourir des kilomètres pour s’approvisionner en eau. Dans plusieurs pays africains, la gestion des points d’eau ou des bornes-fontaines est confiée à des communautés locales. Mais l’efficacité de cette solution est limitée par l’absence de moyens et d’expertises nécessaires à la bonne gestion des installations d’eau potable.

En 2010, le Programme pour l’eau et l’assainissement (WSP), un partenariat multi-donateurs, faisant partie de l’appui global à la gestion de l’eau du groupe de la Banque mondiale a publié les résultats d’une étude réalisée sur la gestion des installations d’approvisionnement en eau potable en zone rurale au Rwanda, au Sénégal, au Benin, au Burkina Faso, au Mali, en Mauritanie et au Nigeria. Le rapport révèle les difficultés de la gestion communautaire des adductions d’eau potable, notamment à cause des coûts y affairant. Par ailleurs, la majeure partie des AEP fonctionne encore avec des générateurs diesel, surtout dans les villages non encore desservis par un réseau électrique stable.

Outre le problème de pollution de l’air et d’émission de gaz à effets de serre, ces équipements nécessitent un entretien constant. Alors même que les comités locaux ont déjà du mal à assurer la gestion optimale des installations avec leur faible pouvoir d’achat. À cela s’ajoute le manque de connaissance technique relatif aux installations de production d’eau potable. Face à ces difficultés, le WSP a recommandé la délégation de la gestion des installations de production d’eau potable. La gestion des équipements peut ainsi être confiée à des entreprises, malgré une certaine défiance existant vis-à-vis du secteur privé concernant la gestion d’un bien commun de première nécessité.

La Côte d’Ivoire : un cas d’école ?

Pour sa part, la Côte d’Ivoire a opté récemment pour la création d’une entité publique devant répondre au défi de la gestion de l’hydraulique rurale. Annoncée le 24 janvier 2022, l’Agence nationale de l’hydraulique rurale de Côte d’Ivoire (Anahr_CI) aura pour mission de garantir la continuité du service d’eau potable en milieu rural, au moment où le gouvernement ivoirien vise l’accès universel à l’eau potable à l’horizon 2030, y compris dans les zones rurales.

L’Anahr-CI devrait également permettre au gouvernement ivoirien de réaliser des économies sur la gestion des installations d’eau potable en milieu rural. Selon le ministère ivoirien de l’hydraulique, l’État dépense en moyenne 4 milliards de francs CFA (plus de 6 millions d’euros) par an pour couvrir les frais de réparation de pompes à motricité humaine. Or, selon les prévisions du gouvernement, sa nouvelle agence devrait permettre d’économiser 80 % de ce budget.

Quel modèle de financement pour l’hydraulique rurale ?

Le financement de l’hydraulique rurale reste la pierre angulaire de l’accès universel à l’eau potable en Afrique. Contrairement aux installations d’accès à l’électricité qui attire les investissements d’institutions financières publics et privés, le secteur de l’eau et de l’assainissement peine encore à trouver des investisseurs. Toutefois, selon une étude publiée en 2020 par l’université d’Oxford (au Royaume-Uni), 8 milliards de dollars ont été investis entre 2006 et 2015 pour la construction d’un million de forages équipés de pompes à motricité humaines dans 50 pays africains.

Sur cette période, le Fonds des Nations unies pour l’enfance (Unicef) est le principal partenaire financier avec 1,7 milliard investi. Pour les chercheurs de l’université d’Oxford, le problème se pose surtout au niveau de la gestion qui ne favorise pas la durabilité des installations. Face à cette situation, les chercheurs Patrick Thomson, Johanna Koehler, Tim Foster proposent des pistes pour résoudre ces difficultés, notamment la mise en réseau des installations de production d’eau potable pour une meilleure gestion ou encore la conception de modèle de financement basé sur les performances à l’échelle nationale et régionale.

Jean Marie Takouleu

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