AFRIQUE : comment faire pour accélérer les projets d’énergies renouvelables

Par - Publié le / Modifié le

AEF 2019

Au deuxième jour de l’Africa Energy Forum (11 au 14 juin 2019), lors une table ronde consacrée aux tendances de l’investissement privé et des IPP (producteurs d’électricité privés indépendants), très actifs sur les énergies renouvelables, une demande pressante a fait l’unanimité des intervenants : accélérons les projets ! Le lendemain, comme en réponse à leur frustration collective, une initiative inédite était lancée par une bande de juristes enthousiastes : l’open solar contract.

L’Africa Energy Forum, qui réunissait cette année à Lisbonne (Portugal), du 11 au 14 juin 2019, les décideurs publics, les investisseurs, les opérateurs et tout ce que le marché des énergies renouvelables en Afrique compte de « deal makers » est, de l’avis de tous, un assez beau cru. Mais, à écouter le second jour les intervenants de la table ronde consacrée aux tendances de l’investissement privé et des IPP (producteurs d’électricité privés indépendants) ont percevait distinctement une certaine frustration.

Pourtant, la session s’ouvrait avec entrain. Yasser Charafi, directeur des investissements chez IFC (Société financière internationale), filiale de la Banque mondiale dédiée à l’investissement privé, brossait un tableau du contexte certes nuancé, mais avec une sorte d’énergie et de confiance communicative.

La faiblesse de l’investissement privé

Premier constat : l’investissement privé ne représente que 10 % de l’investissement global dans les énergies en Afrique. Même si, le poids de la Chine surpondère l’investissement public, puisque l’Empire du Milieu investit à lui seul 9 des 23 milliards qu’il représente.

À cela s’ajoute la forte volatilité des investissements : en 2017 l’essentiel de l’effort s’était porté sur l’Afrique du Nord, tandis qu’en 2018 la situation a basculé du tout au tout, et c’est à l’autre bout du continent, vers l’Afrique du Sud qu’ont afflué les investissements, grâce à une nouvelle réglementation en faveur des IPP.

Ce que Yasser Chafari résume ainsi : « les investissements privés dans l’énergie restent portés par l’existence de grands programmes » en faveur des énergies renouvelables. Il y reviendra d’ailleurs au cours de la table ronde, « la combinaison d’une réglementation claire en faveur de l’investissement privé pour le développement des énergies renouvelables, lancée dans un contexte de stabilité… eh bien, ça marche. Ça marche en Afrique du Sud, mais ça marche également en Égypte, et aussi en Zambie… »

Priorité absolue aux énergies renouvelables

Enfin, Yasser Charafi le confirme : « La révolution des énergies renouvelables, en Afrique, n’est plus une révolution, c’est un état de fait. Les EnR ont pris le lead et, globalement, les investissements dans les hydrocarbures reculent. » Il ajoute : « Le développement du charbon est quasiment à l’arrêt et, à titre personnel, je m’en réjouis, puisqu’après tout la sauvegarde de la planète reste le premier enjeu. » Il précise aussi que « la seule énergie traditionnelle à voir ses investissements croître est le gaz. »

D’ailleurs, sur le salon, au centre du Forum, le « Gaz to power » est omniprésent aux côtés du solaire et de l’éolien. Car le gaz tend à s’imposer un peu partout pour pallier l’intermittence des EnR, à cause de ses émissions de COmoins fortes que celles des autres hydrocarbures et parce que sa structure de coûts fixes relativement faibles (comme pour les autres énergies fossiles) permet de l’utiliser facilement en appoint du solaire ou de l’éolien. Résultat : nombre d’exposants ne jurent que par l’hybride, nouvelle tendance du marché (hélas, encore trop souvent proposé en combinaison avec du diesel).

La lenteur destructrice des négociations

Pour Yasser Charafi, le futur énergétique de l’Afrique sera donc constitué d’énergies renouvelables, vraisemblablement combinées à des centrales à gaz, avec une hausse des performances dans le stockage.

Tout cela dessine-t-il un avenir radieux ? Non, car les projets sortent avec une lenteur phénoménale. Ce que vont confirmer, les uns après les autres, les intervenants de la table ronde. À l’image de Christian Wright, Managing Director, Business Development, Head of East Africa, chez Globeleq, vingt-trois ans d’expérience en Afrique sur le secteur de l’énergie, qui décrit dans une sorte de résignation fataliste le gâchis incroyable des projets, enterrés à la suite à des négociations sans fin. Qu’on en juge : un dixième à peine des projets est signé. Et encore, il faut souvent trois longues années de négociation, quand la réalisation ne prend souvent qu’une année en moyenne… D’ailleurs, Globeleq qui vient de boucler le tour de table financier du projet solaire de Malindi au Kenya, accélère actuellement son développement en Afrique du Sud… en rachetant quatre centrales développées par d’autres IPP.

La Tunisie promet d’accélérer

L’accablement était si palpable, que Slim Feriani, le ministre de l’Industrie et des PME de Tunisie, venu annoncer que les lauréats de l’appel d’appel d’offres tunisien pour plusieurs centrales solaires, d’une capacité cumulée de 500 MW, seront désignés en septembre prochain, s’est senti obligé de justifier le retard pris jusqu’ici, par la mise en place d’une gouvernance transparente, à la hauteur des nouvelles exigences démocratiques du pays… Et de promettre que les processus étant désormais cadrés, les prochains chantiers seraient ouverts avec célérité dans le cadre du Programme national d’énergie renouvelable, qui prévoit 3 500 MW de centrales solaires et éoliennes renouvelables d’ici à 2030, pour contribuer à hauteur de 30 % du mix électrique. Un taux qui, compte tenu de la baisse continue des coûts, pourrait être revu à la hausse.

Le mieux est l’ennemi du bien

Mais ces promesses n’ont pas réussi à réchauffer l’ambiance. Les vieux routiers de « deal making » en Afrique, fustigeait les pouvoirs publics qui pinaillait jusqu’aux plus invraisemblables détails, tandis qu’un ministre nouvellement désigné ou un exécutif à peine élu se sentait systématiquement obligé de tout reprendre à zéro pour prouver qu’il pouvait faire mieux que le précédent. Mais, le mieux étant souvent l’ennemi du bien, tous les intervenants finirent par répéter, comme un mantra : « Enough is enough ». Car le temps perdu, c’est aussi beaucoup d’argent perdu, de part et d’autre. Pour finir, et comme toujours, tous se sont finalement entendus pour accabler les absents : ces avocats qui compliqueraient toujours tout et ne lâcheraient jamais rien…

La révolution de l’Open Solar Contract

Sauf que, c’est justement du côté d’une bande d’avocats survoltés, qui ont tenté de penser « out of the box » et parfois même contre eux-mêmes, qu’une solution se dessine peut-être, avec l’Open Solar Contract, qui fut lancé le lendemain, lors d’une autre table ronde sur l’Africa Energy Forum.

L’initiative, portée depuis trois ans, par Jean-Pascal Pham-Ba, secrétaire général de l’Initiative Terrawatt, et soutenue par l’Agence internationale des énergies renouvelables (Irena), part d’un constat désormais consensuel. Il y a énormément d’argent disponible pour investir massivement et de manière rentable dans les énergies renouvelables en Afrique. Simplement, vu les délais de négociations, on est très loin du compte. Et les objectifs de l’accord de Paris approuvé lors de la COP21 en 2015 ne seront pas tenus si on continue le business as usual. Pour changer d’échelle, il faut révolutionner la manière de contractualiser.

Et pour ce faire, Jean-Pascal Pham-Ba a collaboré avec plus de 30 grandes banques de développement, de cabinets d’avocats et d’associations industrielles. Lors du lancement de l’Open Solar Contract, plusieurs cabinets d’avocats ont raconté comment – chose rare – ils ont travaillé ensemble afin d’offrir un contrat type aux professionnels, dont ces derniers pourront s’emparer gratuitement afin d’accélérer et de sécuriser les négociations concernant le développement de projets solaires, dans le cas où ceux-ci sont raccordés au réseau avec un seul acheteur d’électricité.

Partager équitablement les risques

Pour le même projet, l’Open Solar Contract a modélisé et décrit de manière standardisée les accords entre les différentes parties prenantes : du gouvernement, à l’entreprise qui rachète l’électricité, en passant par les financiers qui accordent les prêts, les constructeurs des centrales, les fournisseurs d’équipements et les entreprises qui assurent le fonctionnement et la maintenance des installations.

L’un des sujets majeurs a été de trouver à chaque moment le point d’équilibre concernant le partage des risques pour fournir un ensemble de documents qui règle les relations de manière simple, équitable et pragmatique. Gadj Taj Ndahumba, de l’African Legal Support Facility (ALSF), qui conseille les gouvernements africains sur ce sujet, et Stefano Mantellassi, de Solar Power Europe, le regroupement des industriels européens, ont tous deux applaudi à l’initiative et validé le compromis standardisé ainsi élaboré.

Le détail de l’initiative est à consulter ici : https://opensolarcontracts.org. Un site où les professionnels peuvent déposer leurs remarques et suggestions afin de nourrir les derniers arbitrages. Le package complet, qui va du contrat aux principes directeurs qui ont présidé à sa rédaction, sera disponible en septembre 2019. Chacun sera alors libre de l’utiliser tel quel, ou de l’adapter ici ou là, en veillant à respecter l’esprit général et l’équilibre des forces qui sous-tend chacun des alinéas…

Christoph Haushofer

Plus sur le même thème

Plus dans la même région

Nous respectons votre vie privée

Ce site utilise des cookies et des technologies statistiques pour améliorer votre expérience. En cliquant j'accepte, vous donnez votre accord.

J'accepte
X
Newsletter AFRIK 21