Yassine Laghzioui: «l’urbanisation ne peut être gérée sans les technologies avancées»

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Yassine Laghzioui : « l’urbanisation ne peut être gérée sans les technologies avancées » ©UM6P

Les participants du Sommet Bridge Africa qui s’est refermé le 8 mai au Maroc ont prolongé leurs interventions jusqu’au 10 mai dans le cadre d’un autre Sommet : le DeepTech, organisé par l’Université Mohammed VI Polytechnique (UM6P). Yassine Laghzioui, le directeur général du fonds d’investissements UM6P Ventures revient dans cette interview sur les freins à l'éclosion de l’écosystème entrepreneurial, l’implication des femmes en matière d’innovation et la force des technologies de rupture pour le développement des villes plus durables en Afrique.

Les participants du Sommet Bridge Africa qui s’est refermé le 8 mai au Maroc ont prolongé leurs interventions jusqu’au 10 mai dans le cadre d’un autre Sommet : le DeepTech, organisé par l’Université Mohammed VI Polytechnique (UM6P). Yassine Laghzioui, le directeur général du fonds d’investissement UM6P Ventures revient dans cette interview sur les freins au développement de l’écosystème entrepreneurial, l’implication des femmes en matière d’innovation et la force des technologies de rupture pour le développement des villes plus durables en Afrique.

Benoit-Ivan Wansi : Le Sommet Bridge Africa s’est refermé le 8 mai et a cédé la place au Sommet DeepTech toujours organisé par l’Université Mohammed VI Polytechnique (UM6P). Ce rendez-vous se tient jusqu’au 10 mai avec en toile de fonds l’accélération des solutions innovantes. Quel rôle joue l’UM6P Ventures dans cette approche ?

Yassine Laghzioui : L’UM6P Ventures est le fonds de capital-risque de l’UM6P. Nous sommes adossés à une organisation de recherche et de développement (R&D) avec pour mission d’investir dans les meilleures start-up qui développent des innovations de rupture et plus largement d’accompagner les entreprises en démarrage à se développer ; surtout qu’en Afrique, l’écosystème est très récent. Cela veut dire nous faisons le premier pas malgré la croissance positive dans les dernières années. Et nous avons besoin d’acteurs qui permettent dans un premier temps de donner un bon signal à nos start-up et aux entrepreneurs. Ensuite, les accompagner sur l’accès au réseau, l’accès au marché et la structuration de leurs entreprises.

De plus en plus d’Africains au Maroc choisissent Ben Guerir notamment en raison de « Startgate » qui est considéré comme le campus de start-up à l’américaine. Quel lien y a-t-il entre vous et Startgate ? Et quelles sont les nationalités qu’on y retrouve ?

Il existe beaucoup de fonds en capital risque en Afrique. Parfois, les managers de ces fonds ont du mal à trouver les bonnes start-up sur lesquelles on peut investir. Et puis les startuppers et les entrepreneurs se plaignent également d’un manque de « cash ». En fait, le souci se trouve au niveau du développement, de la maturation, etc.

Ici nous accueillons des porteurs de projets, même lorsqu’ils n’ont pas encore atteint un certain niveau de maturation, de manière à pouvoir les préparer à un investissement éventuel. Donc Startgate qui est le campus-start-up de l’université constitue avec d’autres initiatives telles que les Fab Labs, la ferme expérimentale, les laboratoires de recherche, le 1337 et le Green Energy Park, le biotope de l’UM6P Ventures. Autrement dit, l’UM6P Ventures est la pépinière des futures start-ups qui vont réussir à lever des fonds.

Sur le campus à Stargate, il y a des Camerounais, des Nigérians et même des Éthiopiens qui viennent en fait sur des programmes d’accélération et d’incubation. Certains l’appellent même Silicon Valley de l’Afrique, moi je l’appelle le phosphate des vallées de l’Afrique. Cet univers est propice au réseautage et au mentoring.

Quelle place occupent les femmes dans cet univers de l’innovation ?

On est très fier d’annoncer que sur la partie estudiantine on dépasse aujourd’hui les 50 % des femmes et 30 % sur la partie entrepreneuriat. À titre personnel, l’objectif c’est d’avoir la moitié des start-up qui sont portées par des femmes ou au moins cofondateur de genre féminin. Aujourd’hui effectivement, on commence à voir de plus en plus de femmes qui considèrent l’entrepreneuriat comme une carrière sérieuse. Tout simplement parce que les femmes ont accès à l’éducation en Afrique par rapport à hier.

La rigueur et la diversité apportées par les femmes font la force de notre écosystème entrepreneurial.

Vous avez lancé un appel à candidatures pour sélectionner des entreprises en démarrage précisément dans l’agritech, la santé et la greentech. Comment se déroule le processus et quel accompagnement est prévu pour les candidats sélectionnés ?

On a lancé effectivement cet appel à candidatures pour passer le message selon lequel il y a un fonds en capital risque qui croit dans le potentiel de l’Afrique, qui croit que le continent peut se positionner sur la scène mondiale de la technologie avancée et de rupture. Derrière, il y a un accompagnement financier à travers un ticket d’investissement qui peut aller jusqu’à 7 millions de dirhams marocains (plus de 700 000 euros) selon le niveau de maturité. Malgré les critères serrés, on remarque un engouement incroyable autour des candidatures.

La gestion d’une start-up DeepTech est très différente de la gestion d’une start-up digitale classique. En clair, un entrepreneur DeepTech a besoin de recruter, d’avoir accès à un meilleur réseau d’experts dans des domaines très spécifiques, très pointus. Il a besoin d’accéder à un réseau de mentors et des laboratoires de pointe sur lesquels il peut faire maturer son produit. Il a aussi besoin d’un support sur la partie business.

Selon vous, quels sont les principaux freins au développement de l’écosystème des start-up en Afrique ? Comment y remédier ?

Le développement économique du monde entier ne peut pas se faire sans l’Afrique. Donc aujourd’hui, il y a une évolution en matière de prise de conscience par rapport à cela. Parmi les grands freins pour nos start-up sur le continent, il y a la difficulté de profiter de la profondeur du marché africain. L’Afrique fait quatre fois le marché des États-Unis d’Amérique. Dans quelques années, on sera un milliard et demi d’habitants, un immense marché, mais qui n’est pas activé parce qu’il est hyper fragmenté.

Il est donc temps de créer des zones de libre-échange, simplifier les approches législatives pour permettre à ces start-up de travailler en synergie pour un résultat collectif et puissant.

Le deuxième défi est le gap entre le talent et le besoin des start-up. Aujourd’hui, 60 % de la population africaine est considérée comme hyper jeune, notamment avec des jeunes de moins de 25 ans. Ce qui représente une force de travail énorme, mais qui n’est pas forcément bien formé pour répondre aux besoins des start-up, sur l’aspect technologique, sur des aspects business et commerciaux, etc. Donc il y a un réel besoin d’agréer nos dispositifs éducatifs pour permettre à ces jeunes-là de trouver du boulot chez les start-up. Elles en ont d’ailleurs besoin pour assurer leur croissance. On n’est pas obligé d’avoir des universités partout, mais on peut utiliser la magie de l’e-learning, les plateformes de digitalisation pour relever ce challenge.

Le troisième défi qui aujourd’hui freine l’évolution de la croissance des start-up africaines est le déficit d’infrastructures, que ce soit en infrastructures logistiques, en matière d’électrification, de laboratoire, de recherche de pointe. En effet, il y a un impact énorme quand les chercheurs, les innovateurs et les entrepreneurs sont dotés des moyens adéquats. Ce qu’ils peuvent produire dans ce cas est beaucoup plus important que lorsqu’ils ne l’ont pas. L’une des clés est de s’ouvrir sur le marché international du capital puisque tout dollar investi en Afrique aura un retour d’investissement percutant.

Les technologies sont quasiment incontournables aujourd’hui et s’invitent dans tous les secteurs de l’économie. Pensez-vous qu’elles sont un levier essentiel pour la résilience des territoires en ce qui concerne la lutte contre les changements climatiques ?

Le changement climatique est un fléau qui ne peut pas être traité sans l’intervention de la technologie et des technologies de rupture, que ce soit les technologies digitales. C’est pourquoi il y a des milliards de dollars qui sont investis chaque année. Sur la partie green Tech on mise sur le développement de nouvelles sources d’énergie verte. En matière de water Tech, on explore des sources non conventionnelles, notamment le traitement des eaux usées parce que parce que de nos jours l’enjeu est beaucoup plus important que de simples investissements traditionnels qui permettraient de résoudre ces problèmes. Nous intégrons à la base le fait qu’une usine de production a besoin de technologies avancées pour pouvoir limiter les émissions de gaz à effet de serre (GES).

En ce qui concerne l’agriculture, les technologies digitales sont incontournables pour pouvoir séquestrer et capter le carbone et on a plusieurs start-up dédiées à cela.

Citez-en une 

Il y a par exemple Atarec qui développe un système de génération de l’énergie verte via l’énergie mécanique des houles. C’est une technologie très avancée avec une équipe qui pourra exporter son savoir-faire à l’international.

Alors que les politiques locales de certaines villes sont presque impuissantes face aux défis économiques et environnementaux, pensez-vous qu’il est encore possible et grâce aux start-up africaines de renverser la donne ?

Oui. Les startups de l’innovation ont un grand rôle à jouer sur la mise en place de politiques territoriales efficaces, efficientes, qui permettent justement d’accompagner l’accélération exponentielle de l’urbanisation en Afrique. Cette urbanisation rapide (la population urbaine devrait tripler en Afrique d’ici à 2050, Ndlr) ne peut être gérée sans recourir aux technologies avancées, sans avoir des villes qui sont connectées, sans utiliser les plateformes digitales, etc. L’UM6P y croit fermement.

Quid des villes intelligentes ?

L’un des premiers programmes que nous avions lancés était justement axé sur la smart city. Cela a permis de faire sortir de très belles start-up parmi lesquelles « We go » qui utilise une plateforme intégrée pour permettre aux citoyens d’une zone territoriale d’avoir accès à une solution de transport intégrée, c’est-à-dire pour aller d’un point A à un point B dans une grande ville. La plateforme vous permet de savoir quel est l’itinéraire, quelle technologie, quel moyen de transport vous allez utiliser. C’est déjà opérationnel dans les villes de Nador et de Safi. Le projet passera très prochainement sur des centres urbains (au Maroc) qui sont un peu plus grands et plus stratégiques avant d’être exporté vers d’autres cités en Afrique.

Quelle est la ville marocaine qui vous fascine ?

La ville que j’adore le plus au Maroc c’est Marrakech (à moins d’une heure et demie de Ben Guerir, ndlr). Si on fait une analogie, je dirais que Marrakech est une belle métropole où la tradition rencontre l’évolution, où l’esprit de l’Afrique rencontre le développement technologique et l’avant-gardisme. C’est important selon moi, car l’Afrique ne peut pas se développer sans ses racines. Lorsqu’on parle de DeepTech, il ne s’agit en aucun cas d’abandonner notre culture, mais de mixer avec un peu de modernité. Sans racines, un arbre ne peut pas survivre.

Propos recueillis par Benoit-Ivan Wansi, envoyé spécial au Maroc

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