Loïc Jaegert-Huber : « la filière hydrogène prendra plus de temps à se développer »

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Loïc Jaegert-Huber : « la filière hydrogène prendra plus de temps à se développer » © Engie

Alors que les géants mondiaux de l’énergie se mettent en branle pour accélérer le développement de l’hydrogène, de nouvelles études et des retours d’expérience laissent penser que cette filière naissante devrait prendre encore plus de temps pour décarboner les économies mondiales. Cet avis est partagé par Loïc Jaegert-Huber, le directeur régional d’Engie Afrique du Nord. Dans cet entretien, il revient également sur la transition énergétique et le recours au dessalement de l’eau de mer face au stress hydrique en Afrique du Nord.

Alors que les géants mondiaux de l’énergie se mettent en branle pour accélérer le développement de l’hydrogène, de nouvelles études et des retours d’expérience laissent penser que cette filière naissante devrait prendre encore plus de temps pour décarboner les économies mondiales. Cet avis est partagé par Loïc Jaegert-Huber, le directeur régional d’Engie Afrique du Nord. Dans cet entretien, il revient également sur la transition énergétique et le recours au dessalement de l’eau de mer face au stress hydrique en Afrique du Nord.

Jean Marie Takouleu : Engie figure parmi les producteurs indépendants d’électricité (IPP) actifs actuellement en Afrique du Nord. La transition énergétique est-elle une réalité dans cette partie du continent ?

Loïc Jaegert-Huber : Comme vous le savez, Engie est présent dans une trentaine de pays dans le monde. En Afrique principalement en Égypte, au Maroc et en Afrique du Sud. Engie est également présent en Afrique subsaharienne sur l’énergie décentralisée (à travers Engie Energy Access, Ndlr). Nous avons pour objectif d’atteindre la neutralité carbone d’ici à 2045, à la fois pour nous (Engie), mais aussi pour nos clients. Nous avons la chance d’avoir un mix énergétique équilibré, alliance entre la molécule et l’électron. En effet, il n’y a pas que l’électricité, il y a aussi le gaz qui sert de plus en plus d’énergie de transition.

Malgré le débat sur le gaz ?

Nous considérons que le gaz est une énergie de transition, car il a vocation à se verdir le plus rapidement possible. C’est pour cette raison que nous sommes l’un des acteurs majeurs du biométhane dans le monde. Il y a aussi l’hydrogène vert, et l’hydrogène naturel (ou hydrogène blanc, Ndlr) qui est présent dans le sous-sol. Le Maroc est d’ailleurs l’un des pays à fort potentiel pour cette variété d’hydrogène.

Quid de la transition énergétique en Afrique du Nord ?

Nous considérons que l’Afrique du Nord est pleinement engagée dans une transition énergétique, aussi bien prometteuse que passionnante, avec de nombreux défis. Mais très clairement, c’est une région qui bénéficie d’un potentiel considérable, avec des conditions idéales pour développer les énergies renouvelables, une durée considérable d’ensoleillement, de très bonnes conditions de vent, mais aussi une prise de conscience générale de l’urgence climatique qui nécessite une réponse ambitieuse.

On le voit avec la vision royale au Maroc. Lors de la COP27 en 2022, on a aussi vu se dégager une ambition égyptienne pour le développement des énergies renouvelables. On considère que l’Afrique du Nord a toutes les clés pour devenir hub énergétique durable entre l’Afrique, l’Europe et le Moyen-Orient. Engie est déjà engagé dans la région avec des projets opérationnels et en développement. C’est un très bon début, mais beaucoup reste à faire.

Dans cette région on observe un certain dynamisme, notamment en Égypte, et au Maroc. Mais récemment, l’Algérie a lancé un appel d’offres pour 2 000 MWc d’énergie solaire photovoltaïque. C’est un début d’ouverture vers les énergies propres. Est-ce qu’Engie compte investir dans ce secteur au cours des prochaines années ?

À moyen terme, en Afrique du Nord, nous nous focaliserons davantage sur l’Égypte et le Maroc. Évidemment nous discutons avec les Algériens, mais davantage sur l’approvisionnement en gaz.

En, Égypte les éoliennes représentent un danger pour les oiseaux migrateurs qui partent d’Europe pour passer l’hiver en Afrique, en traversant le golfe de Suez où vous construisez actuellement un parc éolien de 500 MW. Est-ce que cette question vous préoccupe ?

La biodiversité est une composante essentielle de nos projets. Nous avons des experts qui travaillent pour que nos projets aient le moins d’impacts possible sur la faune et la flore. Bien sûr, la migration des oiseaux est très importante et nous en tenons effectivement compte. Ce paramètre a bien été pris en compte avant de lancer le chantier, d’autant plus maintenant avec l’expérience du premier projet de 262 MW.

Il s’agit donc de bien tenir compte de la trajectoire de ces oiseaux dans le choix du lieu, l’espacement des turbines et l’orientation des pales. Des modifications peuvent également être apportées au cours du temps. Cette prise en compte de la biodiversité passe aussi par une collaboration avec des environnementalistes locaux qui nous aident par la connaissance du terrain.

Engie répond de plus en plus à des appels d’offres pour la construction d’usines de dessalement. Comment expliquer cet attrait pour le dessalement de l’eau de mer en Afrique du Nord ?

Vous serez certainement étonnés, mais nous sommes l’un des leaders mondiaux dans le dessalement de l’eau de mer. Nous sommes donc précurseurs dans ce domaine.

Mais pas en Afrique du Nord ?

Oui, davantage au Moyen-Orient. Mais en Afrique, nous nous lançons dans des unités d’osmose inverse couplées à de l’énergie renouvelable. Il est nécessaire aujourd’hui d’avoir des usines de dessalement qui ont moins d’impacts sur l’environnement. Nous nous sommes donc engagés à ne construire que des stations de dessalement alimentées par des énergies renouvelables, en Afrique comme ailleurs dans le monde.

Par exemple, l’usine de dessalement de Dakhla (au Sahara occidental, Ndlr) sera couplée à un parc éolien de 72 MW. Dotée d’une capacité de production de 112 000 m3 par jour, la station produira de l’eau douce pour l’irrigation et pour l’approvisionnement des populations. Dans ces grands projets, nous jouons le rôle de développeur et d’intégrateur. Engie veut continuer à être leader dans ce secteur afin de répondre aux problématiques de stress hydrique.

Vu sa consommation d’énergie et les impacts sur l’environnement côtier, le dessalement est-il vraiment une solution vertueuse ?

Le dessalement est une solution de dernier recours. Nous essayons de trouver les sites les plus adaptés pour la construction des usines. Il y a aussi de plus en plus de recherche et développement (R&D) sur le sujet, notamment pour la réutilisation des saumures (eaux très concentrées en sel, rejetées par les usines de dessalement, Ndlr), pour ne pas les rejeter directement dans la mer.

Et lorsqu’elles sont rejetées, il y a un travail sur le rythme de rejet pour que la salinité n’ait pas trop d’impact sur les écosystèmes marins. Il faut aussi trouver le bon endroit pour le faire, en ciblant les courants marins pour qu’ils puissent étaler la salinité le plus vite possible. Nous explorons également la valorisation des saumures.

À quoi peuvent servir ces saumures ?

Elles peuvent être utilisées dans beaucoup de procédés, notamment dans l’industrie chimique et cimentière. Dans certains pays, les saumures peuvent également être utilisées sur les routes montagneuses en hiver.

Engie est membre du Green H2 Cluster. En parallèle, le groupe a commencé ses activités dans le secteur de l’hydrogène sur le continent, à la mine de Mogalakwena en Afrique du Sud. Est-ce que vous envisagez de vous lancer dans la production à grande échelle de l’hydrogène vert au cours des prochaines années en Afrique ?

Étant un gazier d’origine, Engie a les compétences nécessaires pour le développement de l’hydrogène bas carbone et les molécules dérivées (ammoniac pour les engrais, carburant d’aviation durable, le méthanol pour le soutage des navires, Ndlr). Nous développons actuellement une centaine de projets d’hydrogène renouvelables dans plus de 15 pays dans le monde, dont 30 projets sont dédiés à la production.

Concernant le projet à la mine de Mogalakwena, il s’agit de décarboner les gros camions miniers grâce à l’hydrogène vert. Nous développons actuellement des systèmes multi-secteurs pour les besoins locaux, pour l’exportation vers l’Europe et l’Asie. Nous étudions également le potentiel de l’hydrogène blanc qui est présent dans le sous-sol, notamment au Maroc.

L’hydrogène est déjà perçu par certains comme une filière d’asservissement de l’Afrique, puisque la plupart des mégaprojets annoncés sur le continent sont destinés à l’exportation. Quel est votre avis sur la question ?

L’enjeu c’est de trouver le bon équilibre entre le renouvelable pour les besoins locaux, le dessalement pour l’approvisionnement en eau potable et l’irrigation, et l’hydrogène destiné à l’exportation via l’électrolyse de l’eau. Mais le potentiel est tel qu’on peut à la fois utiliser ces énergies renouvelables pour les besoins locaux et pour l’exportation sous forme d’hydrogène et d’autres produits dérivés.

L’intérêt de l’export, est que ça se vend plus cher, et pour les États, c’est une discussion à avoir sur la décarbonation du mix énergétique, et comment faire bénéficier ces ressources aux populations locales.

Ya-t-il déjà au niveau mondial des avancées majeures dans le développement de cette filière ?

Vous voyez que cela fait plusieurs années qu’on parle d’hydrogène vert. En 2017 et 2018, c’était des visions, avec des projets pilotes envisagés dans des pays, notamment en Afrique du Sud avec l’initiative d’Engie à la mine de Mogalakwena. En 2019 et 2020, tout le monde a commencé à en parler, notamment en Europe où l’hydrogène était au cœur de plusieurs politiques post-Covid-19. En 2021 et 2022, il y a eu une véritable fièvre mondiale autour de l’hydrogène, avec des pays qui ont défini leurs stratégies en la matière. C’est le cas du Maroc et de l’Égypte.

C’est ainsi que les objectifs pour 2030 sont confirmés et gravés dans le marbre avec des ambitions revues à la hausse. Les stratégies sont également mises à jour et recentrées sur les usages industriels. Il y a une grande bataille qui s’engage entre les États-Unis d’Amérique et l’Europe, démontrant que l’économie verte de l’hydrogène est progressivement déclenchée avec une règlementation qui se met peu à peu en place.

Et puis, en 2023, il y a plusieurs tendances qui s’observent, avec la mise en place de projets de plus en plus grands, en se disant que c’est l’économie d’échelle qui va être la clé de la profitabilité. De plus en plus, les politiques et stratégies valorisent les infrastructures d’hydrogène à grande échelle, notamment dans le transport et le stockage. Les premiers projets ont montré une certaine complexité des systèmes d’électrolyse.

Et puis, de nouvelles études remettent en question le niveau de maturité des projets. La filière hydrogène prendra donc certainement plus de temps à se développer, y compris dans les pays d’Afrique du Nord. Cependant, il y a un très fort potentiel, et les acteurs industriels cherchent un prix très compétitif qui n’est pas encore assuré. À court terme, Engie ciblera quelques projets phares, de moyenne ou grosse taille, pour se tester et répondre à tous les défis industriels et technologiques.

Donc, l’hydrogène vert à grande échelle à l’horizon 2030, c’est beaucoup trop tôt ?

L’objectif de produire l’hydrogène à grande échelle d’ici à 2030 est audacieux, car les technologies d’électrolyses ne sont pas totalement mûres pour des projets en GW. Je ne suis pas pessimiste, bien au contraire. Mais cet optimisme doit être revu à l’échelle de tous ces projets qui se mettent en place, avec un choix qui est aussi financier, de se mettre sur quelques projets dans un premier temps. L’Afrique du Nord et le Moyen-Orient ont leurs cartes à jouer de par leurs conditions qui sont exceptionnelles.

Des propos recueillis par Jean Marie Takouleu

 

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