Désiré Mondele : « Il faut concilier développement industriel et croissance durable »

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Désiré Mondele : « Il faut concilier développement industriel et développement durable » © Désiré Mondele

Alors que les gouvernements africains s’activent face à la menace du changement climatique, la République du Congo fait de même, bien que moins impactée que certains pays sur le continent. Dans cet entretien, Juste Désiré Mondele, le ministre délégué en charge de la Décentralisation et du Développement local du Congo, présente la politique d’adaptation au changement climatique mise en œuvre dans ce pays d’Afrique centrale, tout en émettant des réserves sur les objectifs mondiaux souvent peu adaptés aux réalités du continent.

Delphine  Chêne : Le changement climatique est aujourd’hui un problème mondial qui impacte diverses activités à l’instar de l’agriculture, l’élevage, l’eau, l’énergie (…). Aujourd’hui en République du Congo, le phénomène est-il pris au sérieux ?

Désiré Mondele (DM) : le changement climatique n’épargne pas la République du Congo et est pris très au sérieux parce qu’on observe par exemple des changements au niveau du cycle de saisons et on sent bien que cette situation influence négativement les activités agropastorales. Le chef de l’État du Congo, Denis Sassou-Nguesso en a d’ailleurs fait sa priorité, pas seulement au niveau du Congo, mais au niveau du bassin du Congo puisqu’il a créé le Fonds bleu pour le bassin du Congo. Il s’agit d’un fonds qui est destiné à venir en aide, non seulement à ceux qui sont victimes des effets du changement climatique, mais aussi à permettre à ce qu’il y’ait un mécanisme de protection de l’environnement.

Et vous menez comme ça des actions dans différents secteurs d’activités impactés par le changement climatique. Si cette question ne se pose pas encore dans le secteur de l’eau au Congo au vu de l’abondance de cette ressource, elle pourrait se poser très vite et dans ce cas flirter avec les problématiques de vétusté d’installations et d’insuffisance de financements. Votre démarche s’appuie donc sur les PPP ? Pourquoi ?

DM : La mise en œuvre du Programme national de développement (PND) 2022-2026, qui vise l’amélioration de la qualité de vie des populations, logiquement demande des moyens financiers. Et aujourd’hui, l’État congolais qui est en partenariat avec le Fonds monétaire international (FMI) ne peut pas à lui tout seul garantir le financement des projets à réaliser. D’où les mécanismes innovants de financement à l’instar des partenariats public-privé (PPP). C’est des concessions. Donc un opérateur privé peut financer un projet et bénéficier d’une convention de concessions sur une durée à travers la redevance ou des frais d’utilisation de ces ouvrages pour amortir son financement.

Justement en février 2023, l’entreprise suisse 3 P Renewables Switzerland (3PRS) s’est vue attribuer le contrat de concession pour la production de l’eau potable à Pointe-Noire dans le cadre d’un BOOT (construire, posséder, exploiter et transférer), une forme de PPP.

DM : Le PPP a déjà très bien fonctionné aussi pour ce qui concerne le port autonome de Pointe-Noire par le passé. La modernisation du port hier avec le groupe Bolloré est passée par ce mécanisme de partenariat entre l’État et le secteur privé.

Qu’en est-il de l’électricité ?

DM : Le gouvernement a récemment posé la première pierre de l’usine qui va transformer le gaz liquéfié pour l’utiliser en énergie à Pointe-Noire Donc aujourd’hui, nous sommes dans le pétrole, mais aussi nous sommes en train d’aller vers l’utilisation du gaz parce qu’il y’a une centrale à gaz à Pointe-Noire. Et à côté de cette centrale à gaz, il y’a un supplément (toute la formule de liquéfaction du gaz). Au lieu de faire le torchage des puits pétroliers, ce gaz va être transformé en électricité pour alimenter les ménages et les industries de la République du Congo.

Et aussi, il y a toute la problématique de mobilisation de la ressource dans le cadre des PPP parce qu’il y’a la production de l’énergie, mais également le transfert de cette ressource. Donc le mécanisme est en train d’être mis en place pour qu’une large couverture en électricité au niveau du pays soit réalisée.

L’ancien premier ministre congolais disait : « c’est finalement compliqué en Afrique de concilier développement économique avec les exigences du développement durable ». Est-ce que vous partagez ce point de vue ?

DM : Il n’a pas totalement tort parce qu’aujourd’hui : qu’est-ce qui se passe ? Prenons par exemple les énergies fossiles. Il est dit de sortir du pétrole pour aller vers les énergies dites propres. Sauf que l’Europe a eu le temps de s’industrialiser et même on voit encore ceux qui parlaient de fermer des centrales à charbon aujourd’hui les rouvrir. Cela change fondamentalement parce qu’il y’a, avec la crise en Ukraine, une réalité économique avec une raréfaction et un coût élevé des ressources d’hydrocarbures et autres. Et c’est tout le défi.

Aujourd’hui, le génie africain voudrait qu’on arrive à concilier développement et développement durable. C’est-à-dire qu’il faut concilier la protection de l’environnement avec le développement industriel parce qu’il faut s’industrialiser. Il faut qu’on arrive à transformer sur place nos propres ressources, quitte à les exporter en produits finis pour avoir une valeur ajoutée que de faire l’inverse. Parce que si on dit de quitter le fossile et de n’utiliser que les énergies renouvelables, la transition énergétique a un coût qu’il faut payer et jusqu’aujourd’hui on n’a pas reçu grand-chose pour ce qui est du fonds vert pour le climat (FVC) et tout le reste. Et donc il faut qu’on soit pragmatique et réaliste. Il s’agit des vies humaines. Il s’agit d’un continent avec une démographie en nette évolution. On pense que l’Afrique est le continent qui va très vite évoluer en termes de démographie, avec le défi de la population qui est présente et tous les défis de soins de santé, d’approvisionnement en eau potable, etc. Je pense que les gouvernements ont la capacité de concilier la protection de l’environnement avec le développement industriel. Il en va même de la vie des populations que de protéger l’environnement.

Est-ce que la piste de la décentralisation peut-elle accélérer le développement durable en République du Congo sachant que le défi aujourd’hui est également de réconcilier décentralisation, gouvernance et développement des territoires en faisant du local « la brique de base » ?

DM : « La brique de base » en effet aujourd’hui c’est de faire que les populations par elles-mêmes se prennent en charge et s’occupent de la gestion des proximités, de la gestion des services. Et cela passe par les conseils élus, et donc par la décentralisation. La décentralisation qui est simplement le transfert, à travers le principe de subsidiarité, de certaines compétences de l’État aux collectivités locales.

En République du Congo, la décentralisation n’est pas un choix politique, c’est une exigence constitutionnelle. Et donc la décentralisation est l’outil par lequel il y’a plusieurs transferts de matières. Là, c’est déjà fait avec la santé et l’éducation, mais il y’a plusieurs autres matières qui doivent suivre. Et j’aime d’autant plus l’expression de la « brique de base » et c’est cette brique qui devrait être l’épicentre du développement harmonieux des territoires à travers des mécanismes de financement de l’État, mais aussi à travers des mécanismes de péréquation pour permettre aux collectivités de se développer de façon harmonieuse en fonction de leur situation géographique, leurs ressources naturelles, etc.

Des propos recueillis par Delphine Chêne

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