Carlos Lopes : « Il faut reformer l’architecture financière internationale »

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Carlos Lopes : « Il faut reformer l'architecture financière internationale »©ISC

Le Sommet pour un « Nouveau pacte financier mondial » se tient du 22 au 23 juin 2023 à Paris en France. Objectif : aider les pays en développement à financer la lutte contre le changement climatique, tout en poursuivant les efforts pour réduire la pauvreté. À cette occasion exceptionnelle, le président français Emmanuel Macron, hôte de la rencontre, a convié une centaine de dirigeants du monde entier à l’instar de Moussa Faki Mahamat, le président de la Commission de l'Union africaine, son homologue Ursula von der Leyen de la Commission de l'Union européenne. En prélude à ce sommet international, l’économiste Carlos Lopes décrypte les enjeux pour l’Afrique, à l’heure de l’urgence climatique et du poids de la dette.

AFRIK 21 : Lors de la COP27 en Égypte, le président français Emmanuel Macron a annoncé le Sommet pour un « Nouveau pacte financier mondial » qui se tient finalement les 22 et 23 juin 2023. L’évènement vise à redonner un espace budgétaire aux pays qui font face à des situations difficiles à court terme, notamment pour les pays les plus endettés. Parmi les dirigeants attendus à Paris figurent Moussa Faki Mahamat, le président de la Commission de l’Union africaine, son homologue Ursula von der Leyen de la Commission de l’Union européenne et plusieurs autres dirigeants du monde entier. Est-ce un évènement de plus ou il peut vraiment ressortir des propositions concrètes pour soulager les pays en développement qui font en ce moment face au poids de la dette ?

Carlos Lopes : Je pense que l’année 2023 observera des changements importants dans l’architecture financière internationale, car la géopolitique et l’urgence climatique se sont retrouvées au centre des changements de paradigme.  On a jamais autant parlé à des niveaux décisionnels des besoins de réforme, y inclus des institutions de Bretton Woods. Du tabou on est passé à  la course pour savoir qui dit plus, à faute d’avancer sur le qui fait  plus.

C’est dans ce cadre qu’il faut situer l’agora de Paris. On avancera un peu, on dessinera plus, mais ce ne sera pas le Sommet du dernier mot où le moment du virage. Surtout concernant le problème des dettes publiques.

Depuis le début de l’ère Covid-19, deux pays africains, le Ghana et la Zambie sont en défaut de paiement. Cela démontre la fragilité de certaines économies africaines qui avaient un stock de dettes de 790 milliards de dollars en 2021, pour ce qui est de l’Afrique subsaharienne. Et ces pays continuent de s’endetter. L’Afrique peut-elle sortir de ce cercle vicieux ?

Les dettes publiques ne sont pas qu’un problème africain, bien au contraire.  Arrêtons cette division artificielle d’Afrique sub-saharienne. C’est un problème mondial dans lequel l’Afrique toute entière joue un tout petit rôle, avec une dette moins importante que celle de la Belgique et des Pays-Bas réunie. Nous avons des ratio de dette/PIB parmi les plus bas du monde, certainement bien plus bas que celles des membres de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), et nous avons des taux de croissance parmi les plus élevés dans le monde, dépassés en termes régionaux seulement par l’Inde et l’Asie du Sud-Est. La difficulté de l’Afrique c’est le manque chronique d’accès à  des emprunts à des taux équivalents ou proches des autres régions. Et ceci quand les liquidités sont disponibles. Ce qui n’est pas le cas actuellement. Voilà la raison des problèmes du Ghana et la Zambie.

Le Ghana avait avant le Covid-19, un des taux de croissance les plus élevés au monde. Et maintenant n’arrive même pas à  rouler sa dette, comme le font sans difficultés les pays à monnaie forte, car ils aspirent l’épargne des pays considérés à risque dans les temps de crise. L’Afrique a un stigma associé à  cette évaluation de risque car son économie est jugée en fonction de sa capacité à remplir ces obligations externes, pas ces impératifs internes. Si les pays africains répondent à l’interne avec des mesures de protection sociale face à  des chocs exogènes, il faut arrêter de dire que c’est de la mauvaise gestion ou manque de prudence. Tous les pays du monde on fait de même face à la pandémie et l’impact de la guerre en Ukraine. Mais ce sont les Africains les seuls pointés du doigt comme mauvais gestionnaires parce qu’ils n’ont pas prévus cette crise? C’est cynique!

La Chine qui fait partie des principaux créanciers bilatéraux du continent africain réfute la thèse du « piège  de la dette ». Son ministre des Affaires étrangères, Qin Gang, a plutôt parlé lors de son déplacement au siège de l’Union africaine (UA) en janvier, d’un « piège narratif » imposé à la Chine et à l’Afrique. Qu’est-ce que vous en pensez ?

Il n’y a pas de piège chinois puisqu’ils empruntent plus que les autres, à  des taux meilleurs et sans conditionnalités. Il faut admettre que les Chinois ne sont pas aussi transparents qu’on devrait souhaiter, mais de-là à les transformer en dindon de la farce c’est un peu léger.

Est-ce que la crise climatique ne renforce pas le niveau d’endettement des États, étant donné le manque de financement climatique pourtant promis par les pays riches lors des différentes COP ? Comment peuvent-ils financer l’urgence climatique sans augmenter le poids de la dette ? L’augmentation du financement concessionnel est-elle une solution ?

Le concessionnel n’augmente pas, les statistiques montrent seulement des petites oscillations. Environ 50 milliards de dollars. Pour l’instant avec un total dépassant les 100 milliards de dollars, si on tient compte des aides militaires,  c’est plutôt l’Ukraine qui reçoit des facilités.  Les Africains doivent apprendre la leçon du Covid-19.  La solidarité tant propagé a surtout servi à dévier les montants de l’aide des programmes de développement vers les fabricants de vaccins dans le Nord.  La leçon sur le  financement climatique pour l’instant est la même. Promesses sans lendemain.

Le Sommet de Paris se tiendra en présence de plusieurs dirigeants africains, notamment le gabonais Ali Bongo Odimba, le mozambicain Filipe Nyusi, le mauritanien Mohamed Ould El-Ghazaouani ou encore le comorien Azali Assoumani. Est-ce qu’en parlant d’une seule voix, les pays africains peuvent mieux se faire entendre sur les questions de la dette et du financement climatique ?

Sans consultations préalables, il est difficile d’envisager des positions  communes. Pourtant les ministres africains des Finances ont présenté, avec l’aide de la CEA, une liste de 17 mesures pour réformer l’architecture financière internationale et régler les urgences de la dette publique des pays. J’espère que les leaders africains poursuivent une stratégie conséquente.

Certains dirigeants africains plaident plutôt pour l’annulation de la dette. Est-ce une solution à prendre sur le long terme ?

Je préfère parler de restructuration de la dette.

Que faut-il attendre du Sommet pour un « Nouveau pacte financier mondial » 

Il faut établir une feuille de route pour naviguer la complexité de ce processus de réformes de l’architecture financière internationale.

Des propos recueillis par Jean Marie Takouleu

 

 

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