Ronan Dantec : « La lutte contre le changement climatique se fera au niveau locale »

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Ronan Dantec : « La lutte contre le changement climatique se fera au niveau locale »©Climate Chance

Ronan Dantec, président de l’association Climate Chance, décrypte pour les lecteurs d’Afrik 21 les enjeux de la lutte contre le changement climatique en Afrique. En prélude à la 26e Conférence des parties des Nations unies sur le changement climatique (COP26), qui se tiendra au Royaume-Uni du 1er au 12 novembre 2021, il pointe les enjeux majeurs de l’accès au financement pour les collectivités locales, de la formation de techniciens, de la collecte des données et de l’adéquation des programmes d’adaptation aux enjeux de terrain.

Afrik 21 : vous avez organisé un sommet pour préparer les acteurs non étatiques à la COP26 de Glasgow, sont-ils prêts ?

Ronan Dantec : Il ne s’agissait pas simplement de faire un sommet pour les préparer à la COP26. L’objectif du Sommet annuel Climate Chance Afrique, qui s’est tenu du 15 au 17 septembre 2021 en ligne, est plus large. Il s’agit de mettre en réseau tous les acteurs africains non étatiques pour qu’ils se connaissent et échangent sur leurs pratiques, ainsi que sur de nouveaux projets. Le but est aussi de discuter des messages qu’ils porteront à la COP26 sur le changement climatique, surtout concernant les difficultés qu’ils rencontrent dans la mise en œuvre de projets.

C’est-à-dire que ces acteurs non étatiques ne peuvent pas eux-mêmes participer à la COP ? Est-ce qu’ils ne sont pas regroupés autour d’une organisation qui les représente directement ?

À la COP, les représentants des organismes non étatiques sont organisés par groupes. Il y’en a neuf : le groupe des collectivités locales, dont j’ai longtemps été le porte-parole, le groupe des entreprises, le groupe des ONG environnementales, le groupe des femmes, le groupe des jeunes, le groupe des communautés autochtones, le groupe des chercheurs, etc. Chaque groupe porte un message.

Nous, à Climate Chance, on essaie de réunir les groupes qui véhiculent des messages communs et c’est à travers ces groupes que les acteurs non étatiques s’expriment. Même s’ils ont d’autres lieux pour s’exprimer pendant la COP, comme… parler aux médias par exemple.

Lors du sommet Climate Chance Afrique 2021, on a bien compris que la lutte contre le changement climatique sur le continent se passe au niveau local. Qu’elle est donc la place des collectivités territoriales et autres organisations non étatiques dans la prise de décision sur le climat ou les programmes d’adaptation ?

Bien évidemment elle est encore assez faible. En Afrique comme ailleurs dans le monde ce sont les États qui décident et en tant que porte-parole climat des collectivités territoriales pendant presque une quinzaine d’années, nous nous sommes battus pour que leur rôle soit mieux reconnu.

Il y’a eu cependant des progrès importants. Lors des premières interventions que nous avons pu faire, par exemple à Copenhague en 2009, il y’avait très peu de mentions faites aux acteurs non étatiques. À l’inverse, au moment de l’Accord de Paris, six ans plus tard, les textes font de nombreuses références aux accords non étatiques. Néanmoins, il y’a ce qu’on peut appeler l’échec du dialogue de Talanoa, porté par les îles Fidji, dont l’enjeu était d’obtenir réellement un lieu de dialogue institutionnel entre les États et les acteurs non étatiques. Or, ce dialogue de Talanoa a accouché d’une souris, donc on ne peut pas vraiment affirmer que depuis on ait beaucoup progressé.

Quand on parle d’adaptation au changement climatique en Afrique, dans le Sahel par exemple, on voit davantage l’action des ONG. Comment sont-elles impliquées dans le processus de prise de décision ?

C’est d’abord une négociation sous l’égide de l’Organisation des Nations unies (ONU), entre les États. Après, c’est souvent aux États eux-mêmes à organiser le dialogue avec leurs propres organisations non étatiques. Et, ce que l’on peut tout de même constater c’est qu’il y’a de vrais progrès dans cette prise en compte.

Si on prend l’exemple de la région du Sahel, il est clair que les bailleurs internationaux ont compris qu’il fallait désormais s’appuyer sur les ONG. Il y’a des financements assez conséquents aujourd’hui à destination des ONG pour les actions, souvent remarquables, qu’elles mènent sur le terrain. Malheureusement, elles ne sont pas représentées en tant que telles à la table de ces négociations. Cela reste une faiblesse de ces grandes négociations parce que le multilatéralisme onusien par définition cela reste une négociation entre États.

Dans plusieurs ateliers du troisième sommet Climate Chance, on bien vu que les messages passés, y compris par certains bailleurs financiers, étaient d’avoir une approche qui soit de plus en plus holistique et systémique. C’est-à-dire une approche où l’on raisonne avec l’ensemble des acteurs et qu’on les associe tous. C’est un discours qui a été notamment porté par le représentant de l’UNCCD (the United Nations Convention to Combat Desertification), puisque vous évoquez le Sahel. L’Agence française de développement (AFD) en a également parlé pour la mobilité, en disant : voilà, on ne va plus raisonner en termes de grands projets, mais se concentrer sur des initiatives qui rassemblent tous les acteurs, en incluant toutes les dimensions du sujet en même temps. Si l’on reprend la mobilité, qui est un thème important porté par Climate Chance, on ne va pas plus raisonner en termes d’infrastructures (une autoroute ou une voie ferrée), mais en termes de mobilité. Pourquoi les gens se déplacent -ils ? Quels sont leurs besoins ? Et c’est vrai que souvent en Afrique les bailleurs de fonds comme la Banque mondiale ont d’abord financé les infrastructures avant de se poser la question de l’animation et de la fédération de tous les acteurs d’États de terrain.

Du coup, à propos du financement climat, on dit que les fonds destinés à l’Afrique n’arrivent pas toujours chez les collectivités ?

C’est effectivement un sujet important sur lequel nous insistons énormément, avec beaucoup d’aspects différents.

Lesquelles ?

Le premier aspect, c’est que les bailleurs internationaux préfèrent toujours les gros projets parce qu’en termes de coût de gestion, c’est plus facile de décaisser plusieurs centaines de millions d’euros à la fois que de gérer de petites sommes. Or, cela ne correspond pas du tout aux besoins sur le terrain.

Conséquence : on voit monter des mécanismes avec des structures intermédiaires. Le Fonds vert sur le climat (FVC) par exemple travaille ainsi beaucoup avec des structures habilitées, qui sont à leur tour capables de redistribuer l’argent pour des projets plus petits. C’est une évolution assez manifeste, mais il y a encore des marges de progrès pour que les bailleurs internationaux et les grandes banques de développement octroient des sommes plus petites et mieux adaptées.

Le deuxième point très important, c’est l’absence de garanties suffisantes offertes par les grandes collectivités africaines pour que les prêts leurs soient octroyés directement, ce que la législation n’autorise d’ailleurs pas partout en Afrique. Donc, quand c’est possible, il faut déjà réaliser tout un travail en amont sur la couverture du risque pour leur permettre d’emprunter. C’est un enjeu crucial. Le fonds mondial pour le développement des villes (FMDV) travaille là-dessus. Et nous travaillons aussi sur la mutualisation de certains projets. Quand les collectivités n’ont pas suffisamment de moyens pour réussir à monter toutes seules un projet, la coopération décentralisée pourrait jouer un rôle très important entre villes du nord et villes du sud. Donc cette question des garanties pour l’accès à l’emprunt et du montage de projets est importante.

Le troisième enjeu, ce sont les villes moyennes. Elles sont nombreuses et ce sont ces villes qui sont en train de se développer avec très peu de moyens, alors qu’elles sont très faciles à aménager, tandis que les mégalopoles grossissent sans vraiment avoir la capacité de planifier ce développement. Nous sommes convaincus, notamment sur la question des systèmes énergétiques, que les villes moyennes doivent être une priorité pour la finance internationale, y compris pour tout ce qui touche à l’action climat.

Allez-vous porter cette parole sur la décentralisation ?

Je crois que c’est d’abord aux acteurs africains d’être les porte-paroles de l’Afrique et nous leurs fournissons des outils de mise en réseau pour que la parole collective soit plus forte.

Je pense qu’une initiative comme le Pacte des maires subsaharien, soutenue par l’Union européenne (UE), est une initiative assez précieuse qui augmente fortement la visibilité des villes africaines sur les questions climatiques, avec des villes qui vont être des vitrines demain de cette mutation, notamment Dakar. Je pense vraiment que la question de la décentralisation en Afrique est l’un des grands enjeux des prochaines décennies. Et si l’on veut que les territoires africains puissent affronter le changement climatique en termes d’adaptation. Mais aussi pour participer demain à la stabilisation des émissions de gaz à effet de serre. Et c’est un enjeu parce que les classes moyennes de Lagos, par exemple, émettent déjà plus de CO2 par habitant que les classes moyennes de certaines villes européennes qui ont changé leurs systèmes énergétiques.

Au-delà de la question du financement et de la décentralisation, quelles sont les autres actions à mener au niveau de l’Afrique pour gagner la lutte contre le climat ? Parce que, si le continent contribue le moins au réchauffement climatique, c’est lui qui en souffre le plus finalement.

Il y’a d’autres aspects qui ont été soulignés pendant ce sommet Climate Chance. On a des lacunes majeures sur la formation de techniciens à la transition énergétique. Si on veut par exemple avoir un développement des systèmes d’off-grid qui permettent d’avoir des réponses plus adaptées aux situations d’électrification locale, il faut du matériel qu’on sache installer, il faut du matériel qu’on sache réparer et là c’est vraiment un gros enjeu de formation absolument central.

Un deuxième point sur lequel on a beaucoup insisté c’est la question des données. Aujourd’hui on manque terriblement de données sur les émissions de CO2 en Afrique, l’impact des projets en termes de réduction de ces émissions, mais aussi les vulnérabilités des territoires concernant l’adaptation, les risques d’inondations, les évolutions attendues en termes de la météo, etc. La question des données est absolument centrale. C’est un point sur lequel on travaille beaucoup. L’atelier organisé sur ce sujet a eu beaucoup de succès. Maintenant, il faut trouver les moyens pour organiser la réponse à ces besoins. Depuis notre sommet à Abidjan, en Côte d’Ivoire, il y’a trois ans, nous essayons vraiment de participer à la création d’une collecte significative de données.

Enfin, dernier point, un peu nouveau dans les priorités : on voit qu’au niveau international, il y’a quand même un rapprochement entre les différentes conventions qui sont nées de Rio en 1992 (convention climat, convention biodiversité, convention désertification). Demain, nous disposerons de flux financiers très importants issus de la compensation carbone. Donc comment cet argent arrivera-t-il sur le terrain ? Comment mesurera-t-on l’impact CO2 par exemple d’une reforestation en Guinée où le couvert forestier est très dégradé ? Comment disposera-t-on finalement de modèles, de mesures, de standards qui amèneront l’argent de la compensation vers l’Afrique et avec des gains au-delà du climat, par exemple des gains en termes de biodiversité ou des gains en termes de développement avec l’amélioration des systèmes agricoles.

 Propos recueillis par Inès Magoum et Jean Marie Takouleu

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