Protéger la biodiversité pour garantir la sécurité alimentaire du continent africain

Directrice générale adjointe

FAO

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Dans cette tribune, Maria Helena Semedo, Directrice générale adjointe de l’Organisation des Nations Unies pour l’Alimentation et l’Agriculture (FAO), alerte sur les risques pour l'agriculture et la sécurité alimentaire liés à la perte de la biodiversité. L'Afrique étant particulièrement menacée, elle plaide ici pour de nouveaux modèles de gestion de la biodiversité, dans une perspective de développement durable.

Un nombre croissant d’études scientifiques rapportent le déclin massif de la biodiversité à l’échelle mondiale, en prédisant notamment une sixième extinction de masse des espèces de vertébrés. La perte des habitats s’accélère à un rythme alarmant et la diversité génétique s’érode en raison notamment d’une homogénéisation des produits alimentaires consommés. Au-delà des impacts environnementaux, que peut engendrer la perte de biodiversité, l’impact potentiel de ce déclin sur les sociétés et plus particulièrement sur la sécurité alimentaire et la santé humaine reste encore peu pris en considération par les décideurs politiques.

A ce titre, le rapport sur l’Etat de la biodiversité pour l’alimentation et l’agriculture dans le monde, réalisé sous les auspices de la Commission des ressources génétiques pour l’alimentation et l’agriculture de la FAO, constitue la toute première évaluation planétaire du rôle que joue la biodiversité pour l’alimentation et l’agriculture. La publication apporte un éclairage sur l’importance de la diversité biologique pour garantir l’alimentation et la bonne nutrition de la population mondiale. En compilant les informations de 91 rapports nationaux et complémenté par les données disponibles dans la littérature scientifique, le rapport souligne que de nombreuses composantes de la biodiversité pour l’alimentation et l’agriculture sont en déclin tant au niveau des ressources génétiques que des espèces et des écosystèmes. En plus de fournir une source directe de produits alimentaires, tels que ceux obtenus à partir du bétail, du poisson ou de plantes cultivées, la biodiversité est également source d’un large éventail de services écosystémiques essentiels à la production alimentaire. De la lutte contre les parasites et les maladies, au maintien de la fertilité des sols, en passant par la pollinisation des cultures, la biodiversité est le fondement de l’agriculture. Toutefois, au cours des dernières décennies, les choix de production ont privilégié les services d’approvisionnement de la nature aux sociétés, comme la nourriture et l’énergie, au détriment de ces services écosystémiques. Ces choix sont aujourd’hui remis en question et la communauté internationale s’accorde à dire que cette tendance doit être inversée et que les services rendus par la nature à la production agricole doivent être reconnus et encouragés.

Le rapport met notamment en évidence qu’aujourd’hui, parmi les 9 600 espèces sauvages comestibles sur la liste rouge de l’Union Internationale pour la Conservation de la Nature (UICN), 20% sont menacées d’extinction. Un quart des races d’animaux d’élevage sont en danger. Entre 1990 et 2015, les surfaces forestières mondiales qui constituent des réservoirs de biodiversité sont passées de 31,6% de la surface du globale à 30,6%, soit une perte équivalente à deux fois la surface de la Zambie. Les forêts d’Afrique subsaharienne sont celles qui disparaissent le plus rapidement.

L’érosion de la biodiversité est d’autant plus inquiétante que l’insécurité alimentaire reste très répandue dans de nombreuses régions du monde et que la population mondiale devrait atteindre 9,73 milliards d’habitants en 2050.

En Éthiopie, des agriculteurs évaluent les caractéristiques des différentes variétés de blé. © Bioversity International/J.van de Gevel

Selon les dernières estimations, plus de 821 millions de personnes, soit environ une personne sur neuf à l’échelle mondiale, souffraient de sous-alimentation en 2017. Après un recul constant depuis plus d’une décennie, la faim dans le monde est donc repartie à la hausse, touchant 11% de la population mondiale. L’alimentation et l’agriculture font ainsi face à un défi majeur avec une population mondiale qui devrait atteindre 9,73 milliards en 2050, et faire bondir la demande en produits agricoles. La situation est particulièrement vraie pour le continent africain où la prévalence de la sous-alimentation affecte aujourd’hui un cinquième de la population, soit plus de 256 millions de personnes. Dans un contexte où l’Afrique va faire face à une croissance démographique sans précédent avec une population devant doubler d’ici 2050, pour atteindre 2,4 milliards d’habitants, dont la moitié aura moins de 25 ans, il y a urgence à repenser et transformer en profondeur les systèmes agricoles et alimentaires. Cette transformation doit promouvoir la conservation et l’utilisation durable de la biodiversité tout en favorisant le développement d’une agriculture nourrissant la planète et garantissant des revenus décents aux agriculteurs. Ce changement profond ne sera toutefois possible qu’à travers une réelle volonté politique.

Pour relever ce défi, les instances de discussion des questions environnementales et des secteurs agricoles doivent adopter une approche conciliant les points de vues des différents secteurs et parties prenantes afin d’élaborer des modèles nouveaux de gestion de la biodiversité, dans une perspective de développement durable. Les secteurs agricoles (production végétale et animale, foresterie, pêche et aquaculture), de plus en plus conscients de leur impact négatif sur la biodiversité, mais aussi de leur dépendance à son égard, ont tout à gagner d’une meilleure conservation et d’une gestion durable de la biodiversité.

L’agriculture a contribué à sauvegarder des paysages et à protéger des habitats au fil des siècles. Les producteurs de produits alimentaires ont historiquement utilisé la biodiversité comme mécanisme d’assurance et d’adaptation, pour augmenter la flexibilité et pour étaler ou réduire le risque, face à l’incertitude croissante et aux chocs climatiques. Il est donc indispensable que le rôle des agriculteurs, des éleveurs, des pêcheurs et des personnes dépendantes des forêts en tant que gardiens de la biodiversité pour l’alimentation et l’agriculture soit revalorisé et renforcé afin de garantir la sécurité alimentaire de tous.

Par Maria Helena Semedo
Directrice générale adjointe
de l’Organisation des Nations Unies pour l’Alimentation
et l’Agriculture (FAO), Climat et Ressources naturelles

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