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Maroc : le gouvernement devrait intensifier ses efforts en faveur de la biodiversité

Addax-nasomaculatus-Safia-Maroc-2011 @ Xavier RUFRAY, Biotope

Les objectifs d’Aichi sur la biodiversité, adoptés à l’occasion de la conférence de Nagoya en octobre 2010 ne seront pas atteints. Les discussions de la COP 14 (2019, Charm el-Cheikh, en Egypte) ont notamment entériné ce constat. Par ailleurs, presque neuf ans après la parution de la quatrième édition des Perspectives mondiales de la diversité biologique et plus d’un an avant la COP 15 sur la biodiversité prévue à Kunming (Chine), l’IPBES(la Plateforme intergouvernementale sur la biodiversité et les services écosystémiques), sorte de GIEC de la biodiversité, a acté début mai 2019 à Paris le scénario réaliste d’un effondrement de la biodiversité et des services écosystémiques rendus à l’humanité.

Pour nourrir les futures discussions sur la révision de la quatrième édition des Perspectives mondiales de la diversité biologique (Aichi 2011-2020), chacun des États membres ont entrepris un patient travail de rédaction des 6erapports nationaux de la biodiversité. Sur les 168 Parties ayant ratifié la Convention sur la Diversité Biologique, tenues de livrer ce travail, un tiers environ ont rendu leur rapport à ce jour. Parmi eux, le Royaume du Maroc, qui a ratifié la Convention sur la diversité biologique (CBD) en 1995, et fut cette année l’un des très bons élèves qui rendit sa première copie (provisoire) à la toute fin 2018.

De grandes ambitions…

Les travaux entrepris pour la rédaction du 6eRapport national sur la biodiversité (6RNB) du Maroc, traduisent aussi localement une très grande ambition : à titre d’exemple, le lancement depuis février 2019 de l’ambitieuse stratégie des « Services écosystémiques au Maroc » (SES) par la secrétaire d’État chargée du Développement durable, Mme Nezha El Ouafi, avec l’appui de la coopération allemande GIZ. Une stratégie qui ne restera pas à l’état de vaines déclarations puisque les premières actions d’évaluation et de cartographie des services écosystémiques du Royaume sont lancées en ce moment même et qu’un projet de Loi cadre nationale visant à l’intégration de ces problématiques dans les décisions politiques du Royaume constituera l’aboutissement du programme.

Objectif : l’adaptation aux changements climatiques avec la prise en compte des enjeux de biodiversité et des services écosystémiques dans toutes les stratégies et les programmes sectoriels et intersectoriels, pour mieux évaluer la valeur de la diversité biologique et des services que fournissent les écosystèmes. Afin de réduire les atteintes à la biodiversité et d’optimiser les effets positifs des services dont profitent les Marocains.

… pour surmonter une grande vulnérabilité

À l’origine de la prise de conscience des décideurs marocains, il y a la vulnérabilité du territoire national face aux changements climatiques, et plus particulièrement face à la menace de désertification. Pour un pays dont l’agriculture représente 14 % du PIB et près de la moitié des emplois, l’enjeu est… majeur.

D’ailleurs, l’étude prospective « Maroc 2030 »avait démontré, en 2011 déjà, que « à défaut de changements profonds de son modèle de développement économique, le Maroc continuerait de subir une destruction annuelle de 30 000 hectares de forêt ». Les auteurs ajoutent que « 92 % de son territoire national se trouverait sous la menace de désertification ». On comprend mieux ainsi la nécessité impérieuse de maintenir les écosystèmes naturels au Maroc.

Autre signal d’alarme, qui a fait siffler les oreilles des décideurs marocains : le premier rapport de la Banque mondialsur «  L’évaluation du coût économique de la dégradation de l’environnement au Maroc » réalisé en 2017.

Mieux évaluer la biodiversité

Dans ce contexte et avec le soutien du Programme des Nations Unies pour le développement (PNUD) et le Secrétariat d’Etat chargé au Développement Durable (SEDD), le Maroc a donc confié en octobre 2018 la rédaction du « 6eRapport national sur la biodiversité » (6RNB) à Biotope Ingénierie Biodiversité (BIB), la filiale marocaine de la société Biotope, bureau d’études environnementales, créé il y a 26 ans par un groupe de naturalistes français.

Le rapport a été finalisé et publié il y a un mois sur la Plateforme de la convention sur la diversité biologique (CDB). Objectif de l’étude : évaluer la Stratégie et le Plan d’Action National (SPANB – 2016-2020), en particulier les 159 mesures mises en œuvre pour atteindre les 26 objectifs nationaux déclarés. Pour chacune d’entre elles, l’équipe de Biotope a diagnostiqué l’état d’avancement et le résultat ainsi que l’identification des besoins et des contraintes futurs, afin de fournir des pistes d’amélioration.

Cyril Barbier, responsable de BIB et auteur du 6RNB, rappelle que la CDB insiste beaucoup sur « l’importance accordé à la consultation des parties prenantes ». Ce qui a conduit à entendre « les représentants des ministères de l’Agriculture, de l’Industrie, de l’Énergie, de l’Aménagement du territoire, de l’Intérieur, de l’Éducation, mais aussi les institutions scientifiques, les ONG, les représentants de la société civile… Le document final implique donc toutes les forces de la société associées aux enjeux de la biodiversité. ». Une approche originale et singulière impulsée par les autorités marocaines et facilitée par l’organisation du Comité National Biodiversité regroupant l’ensemble de ces parties prenantes et dont le SEDD est le coordonnateur principal au Maroc.

La clé du rapport (6RNB) : l’importance accordée à la consultation des parties prenantes. © Xavier Rufray, Biotope

Une biodiversité remarquable

Parmi les principaux manques et besoins qu’a révélé le 6RNB on note : l’absence d’indicateurs fiables pour assurer le suivi et l’évaluation des mesures et actions entreprises par les différents départements ministériels ; l’absence de programme national concerté, permettant la coordination des actions et l’intégration des problématiques biodiversité sur un ensemble plus large de stratégies sectorielles ; le fait que la biodiversité est principalement traitée à titre « secondaire » et que les efforts mis en œuvre ne répondent pas à la problématique (urgente) de l’érosion de la biodiversité (de manière générale) ; mais aussi le manque ou l’absence de cadre juridique applicable, permettant notamment de garantir le respect des normes, et d’assurer la mise en protection de certains espaces naturels et des manques de moyens humains, techniques et financiers, pour aboutir à des actions efficaces.

Alors même que la richesse de la diversité biologique du Maroc est remarquable du fait de sa géographie. En effet,  le territoire du Maroc est unique par sa configuration, à l’intersection entre la Méditerranée, l’océan Atlantique et le désert du Sahara, avec la présence de montagnes, il recèle notamment des trésors en matière d’herpétologie (serpents, lézards…) et au niveau de l’avifaune. D’ailleurs le Maroc constitue une halte indispensable des oiseaux migrateurs quand ils entreprennent leurs voyages, aller-retour, d’Europe vers l’Afrique subsaharienne.

Raison de plus de professionnaliser le combat pour le maintien et le renforcement de la biodiversité. D’ores et déjà, le 6RNB a ainsi permis d’identifier les besoins prioritaires et d’établir une liste de recommandations pour améliorer la mise en œuvre des objectifs d’Aichi au Maroc, jusqu’en 2020. Certaines actions de formation visant à faciliter la compilation de l’information et la diffusion des connaissances au travers de la plateforme nationale CHM (http://ma.chm-cbd.net/) ont d’ailleurs été mises en place en 2019.

Des efforts à confirmer et à renforcer

Sur les 26 objectifs nationaux, quasiment la moitié (46,15 %) sont en bonne voie pour atteindre l’objectif fixé en 2016, et 42,32 % montrent des progrès avérés, même s’ils accusent un certain retard. Concernant l’évaluation des 159 actions mises en œuvre pour atteindre ces objectifs, 23 % sont considérées comme efficaces et 58 % comme « en partie » efficaces.

Biotope Ingénierie Biodiversité (BIB), dont le travail est salué par le Pnud, reconnaît donc les efforts conséquents du Maroc en faveur de la biodiversité. Cependant, l’équipe d’experts fournit également des recommandations pour la suite. Extraits : le renforcement et l’applicabilité du cadre législatif et juridique (en cours), le renforcement de la gouvernance et l’intégration des problématiques biodiversité dans les politiques et stratégies sectorielles (en cours), l’élaboration d’un système de suivi et d’évaluation continue et d’utilisation des indicateurs proposés comme outil de l’évaluation (demande du Pnud), renforcer la formation et assurer la montée en compétences, développer la recherche et l’intégration de notions innovantes, par exemple sur la valeur de la biodiversité…

Conclusion : malgré les marges de progression encore importantes qui se dégagent de ce bilan, il faut saluer la volonté et les efforts exemplaires du Maroc qui fait figure ici d’exemple à l’échelle continentale. Le maintien et le renforcement de ces efforts par la volonté politique permettront sans doute au Royaume, espérons-le, d’atteindre les objectifs qu’il s’est fixé.

Christoph Haushofer
Photos : Xavier Rufray

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