L’Afrique n’échappe pas à l’accélération de l’érosion mondiale de la biodiversité !

Directeur développement Afrique

Biotope (Bureau d’études)

Publié le

Au lendemain de la publication du rapport historique de la Plateforme intergouvernementale sur la biodiversité et les services écosystémiques (IPBES), dont le résumé a été approuvé lors de la 7e session plénière de l’IPBES à Paris, Julien Cordier, directeur développement Afrique, chez Biotope, bureau d’étude français, spécialisé dans la faune, la flore et les milieux naturels, en présente les enjeux pour le continent africain.

Créée sous l’égide des Nations Unies en 2012, l’IPBES (Intergovernemental Science-Policy Plateform on Biodiversity and Ecosystem Services/ Plateforme intergouvernementale scientifique et politique sur la biodiversité et les services écosystémiques) est un organe indépendant qui rassemble 130 gouvernements. Cette plateforme, sorte de « GIEC pour la Biodiversité », a vocation à fournir aux décideurs politiques des évaluations scientifiques sur l’état de la connaissance relative à la biodiversité et aux écosystèmes. L’évaluation régionale pour l’Afrique réalisée sous sa direction est la première de ce type établie pour le continent. Elle est porteuse d’enseignements intéressants.

Ils sont d’autant plus importants à appréhender par les décideurs du continent, que la Convention internationale sur la diversité biologique – la COP15 – qui se tiendra en novembre 2020 en Chine débouchera sur une série de décisions pour faire face à l’effondrement de la biodiversité et à l’extinction de masse des espèces en cours. L’Empire du Milieu prend le sujet très au sérieux, les partenaires au développement occidentaux également ainsi qu’un nombre croissant d’entreprises…

Les atouts de la richesse et de la singularité de la biodiversité africaine

La biodiversité de l’Afrique revêt une importance mondiale. Ce continent représente 20,2 % de la surface terrestre et abrite un quart des espèces de mammifères de la planète, environ un cinquième des espèces d’oiseaux et un sixième des espèces de plantes. Le continent compte 8 des 36 points chauds de la biodiversité recensés dans le monde. Il s’agit des endroits les plus riches et les plus menacés de la planète d’un point de vue biologique, abritant de nombreuses espèces endémiques (que l’on ne retrouve nulle part ailleurs Ndlr).

Cette richesse naturelle, à laquelle s’ajoute la richesse des savoirs autochtones et locaux du continent est un élément central du développement durable et un atout stratégique pour réaliser cet objectif.

La richesse de la diversité biologique et la diversité des écosystèmes génèrent des flux de biens et de services essentiels pour satisfaire les besoins du continent en nourriture, en eau, en énergie, ainsi qu’en matière de santé et de moyens de subsistance stables. Ces atouts tangibles et intangibles représentent un capital stratégique du développement durable du continent. La conservation de la biodiversité et des écosystèmes africains améliore la capacité d’adaptation, renforce la résilience et réduit la vulnérabilité au changement climatique. Elle contribue au développement durable indispensable pour préserver le futur du continent africain.

La biodiversité africaine sous de multiples pressions

Cette richesse est aujourd’hui menacée. Pour la première fois, le rapport de l’IPBES acte noir sur blanc dans un rapport validé par les scientifiques et 132 états membres, que le principal facteur responsable de la perte de biodiversité et de la diminution des contributions apportées par la nature aux populations en Afrique est la conversion des habitats naturels en terres agricoles et en zones urbaines.L’Afrique est l’un des continents qui s’urbanisent le plus rapidement et de manière non planifiée. La population actuelle de l’Afrique, estimée à 1,25 milliard, devrait doubler d’ici 2050, mettant à rude épreuve la biodiversité du continent et les contributions de la nature aux populations.

Vient ensuite le développement non intégré des infrastructures ;la surexploitation des ressources biologiques ;l’introduction d’espèces exotiques envahissantes ;la pollution de l’air, de l’eau et des sols, le braconnage et le trafic d’animaux sauvages.

Les facteurs d’appauvrissement de la biodiversité ont en outre pour effet d’aggraver les risques liés au climat. Or l’Afrique est extrêmement vulnérable aux répercussions des changements climatiques.Dans tous les pays d’Afrique, les températures augmentent plus rapidement que la moyenne mondiale. Les changements climatiques pourraient entraîner des pertes importantes d’espèces végétales, la disparition de plus de 50 % de certaines espèces d’oiseaux et de mammifères. Les conséquences pourraient également être graves pour les écosystèmes côtiers et les eaux intérieures.

Or la contribution directe des ressources marines et côtières à l’économie africaine est considérable, représentant plus de 35 % du PIB dans certaines régions. Malgré leur très grande importance écologique et socio-économique pour le continent, les milieux marins et côtiers et leurs écosystèmes cruciaux (récifs coralliens, mangroves…) sont aujourd’hui gravement menacés par les activités humaines.

Les dommages causés ont des incidences de grande portée pour la pêche, la sécurité alimentaire, le tourisme et la biodiversité marine dans son ensemble. Ils mettent en danger des services écosystémiques extrêmement précieux du fait de leur efficacité et de leur gratuité.

L’Afrique à la croisée des chemins

L’Afrique a connu une croissance significative et des perspectives financières très favorables au cours des deux dernières décennies, mais c’est également la seule région dans laquelle a été observée une augmentation de l’extrême pauvreté, puisque cette croissance économique, aussi dynamique soit elle, reste plus faible que la hausse de la démographie, avec une répartition inégale de ses fruits. Aujourd’hui la biodiversité unique et abondante de l’Afrique est un atout pour réaliser les objectifs de développement durable et peut être utilisée de façon durable et équitable afin de réduire les inégalités et la pauvreté sur le continent.

Cependant, l’IPBES souligne qu’actuellement les processus de prise de décision en Afrique ont tendance à ne pas apprécier la biodiversité et les contributions de la nature au bien-être humain à leur juste valeur. Les études évaluant la biodiversité et ses contributions sont trop peu nombreuses et limitées, tant du point de vue des zones géographiques couvertes que des types d’écosystèmes étudiés. Ces évaluations de la biodiversité et des services qu’elle rend aux populations sont pourtant essentielles pour prendre des décisions et sensibiliser les populations à l’importance de la conservation des écosystèmes et de la biodiversité qu’ils abritent. Bref, elles sont essentielles pour mobiliser toutes les parties prenantes en faveur de ce patrimoine commun : décideurs politiques, industriels, aménageurs, populations locales…

Dans le même temps, la réalisation des objectifs d’Aichi (2011-2020) relatifs à la diversité biologique est en mauvaise voie et présente des résultats très préoccupants en Afrique : plus de 50% des pays ne sont pas en passe d’atteindre les objectifs, loin de là. Des progrès sont effectués, mais à un rythme très insuffisant face aux enjeux.

Non seulement l’Afrique reste le continent le plus vulnérable aux changements climatiques, mais il dispose d’une capacité d’adaptation relativement faible. L’ampleur des répercussions concernant les changements climatiques futurs dépendra fortement des trajectoires de développement que les décideurs poursuivent aujourd’hui.

Les options de l’Afrique pour répondre aux menaces

L’Afrique dispose de plusieurs options de gouvernance pour répondre aux menaces qui pèsent sur la biodiversité et atténuer les impacts des difficultés auxquelles le continent est confronté.Le recensement et le choix des différentes solutions envisageables se basent sur un ensemble d’avenirs plausibles décrits à travers des scénarios. Compte tenu des défis que posent la croissance démographique, l’insécurité alimentaire, l’urbanisation, les changements climatiques, la faiblesse de la gouvernance, il n’est pas évident de mettre en place une politique qui bénéficie à la fois à la nature et à la société. Pourtant, une transition vers des économies vertes et bleues est possible.

Dans une économie verte, l’augmentation des revenus et la création d’emplois résultent d’investissements publics et privés visant à réduire les émissions de carbone et la pollution, à exploiter l’énergie et les ressources de façon rationnelle et à empêcher la perte de la biodiversité et des services écosystémiques.

Le concept d’économie bleue invite lui à prendre conscience que la productivité des écosystèmes d’eau douce et des écosystèmes marins sains ouvre la voie au développement d’économies aquatiques et maritimes et aide les états insulaires et les autres pays côtiers, ainsi que les pays privés de littoral, à bénéficier de leurs ressources. Une économie bleue promeut la conservation des écosystèmes aquatiques et marins et l’utilisation durable des ressources qui en découlent, en s’appuyant sur les principes d’équité, de développement à faible émission de carbone, d’exploitation rationnelle des ressources et d’inclusion sociale. Le développement, l’agrandissement et la gestion d’aires protégées marines et terrestres peuvent participer au défi qui consiste à développer des stratégies qui permettent de dépasser la simple protection des espèces et des écosystèmes.

Les cinq scénarios de l’IPBES

Dans le rapport de l’IPBES, les scénarios (S) pour l’Afrique ont été classés en cinq catégories en fonction de l’aspect sur lequel était mis l’accent : forces du marché (S1), réforme des politiques (S2) et monde-forteresse (S3), qui correspondent en quelque sorte à une situation de « laisser-faire », et durabilité régionale (S4) et durabilité locale (S5).

L’éclosion d’une Afrique prospère et pacifique, la réalisation des objectifs de développement durable et des objectifs d’Aichi, relatifs à la diversité biologique posent un problème dans le contexte d’un scénario de type Monde-forteresse (S3), dans lequel la priorité est donnée à la souveraineté nationale, à l’autosuffisance et à la sécurité. Il est également peu probable que les ambitions précitées puissent être atteintes dans les scénarios de type Réforme des politiques (S2) et Forces du marché (S1), étant donné leur forte tendance à porter atteinte aux ressources naturelles à long terme. En revanche, les scénarios de type Durabilité régionale (S4) et Durabilité locale (5) présentent les solutions les plus à même de réaliser des objectifs multiples en matière de conservation et d’utilisation durable de la biodiversité et de développement de l’Afrique à court et moyen terme.

Quel que soit le type de scénario choisi, les arbitrages entre certaines contributions de la nature aux populations et la façon dont elles contribuent au bien-être humain seront inévitables.Les cinq types de scénarios étudiés prévoient une diminution de la biodiversité et du fonctionnement écologique à différents niveaux d’ampleur.

La prise en compte de la biodiversité et des services écosystémiques dans les politiques et les mesures adoptées à différents niveaux est donc essentielle et conforme au fonctionnement de la gouvernance polycentrique traditionnelle sur le continent. Cette gouvernance rassemble des acteurs issus à la fois des secteurs public et privé et les perspectives qui leur sont propres. Cette forme de gouvernance crée une passerelle entre les secteurs et intervient à des niveaux et des échelles multiples en suivant diverses échéances.

Une telle démarche apporte une alternative aux approches par le haut, qui tiennent moins compte des contraintes locales, et aux approches par le bas, qui parfois ne conviennent pas pour résoudre certaines questions à des niveaux plus globaux. Avec l’appui des instruments juridiques, réglementaires, économiques et financiers qui conviennent, ce type de démarches peut permettre de parvenir à un consensus et à un apprentissage en commun par le biais du dialogue et de la production conjointe de connaissances, tout en respectant les principes d’équité, de transparence, de responsabilité et de participation.

Bien que n’étant pas les plus faciles et les plus rapides à mettre en œuvre, les démarches polycentriques permettent de faire preuve de souplesse face à une situation en évolution, de réduire les conflits, de trouver un équilibre entre les objectifs de conservation et de développement et d’obtenir des résultats positifs à moyen et long terme. Un système de gouvernance polycentrique semble donc incontournable pour que les atouts naturels de l’Afrique apportent leurs bienfaits aux êtres humains de façon équitable.

Julien Cordier,
Directeur développement Afrique chez Biotope,
Bureau d’études environnement, milieux naturels faune et flore

À lire, en complément :
https://www.international-climate-initiative.com/fileadmin/Dokumente/2018/1873-IPBES-AfRA_ValuES_Fact_sheet_03-18_fr.pdf
https://www.ipbes.net/system/tdf/ipbes_6_15_add.1_africa_french_1.pdf?file=1&type=node&id=28788

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