« L’accès à l’électricité en Afrique passe par une mutualisation des compétences »

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« L’accès à l’électricité en Afrique passe par une mutualisation des compétences »

En matière d’accès à l’électricité, les difficultés sont immenses en Afrique, notamment l’accès au financement. Cette problématique était d’ailleurs au cœur du Forum d’investissement pour l’accès à l’énergie (EAIF) qui vient de s’achever à Abidjan en Côte d’Ivoire. En marge de cet évènement, AFRIK 21 s’est entretenu avec deux responsables de Schneider Electric : Albert Fuchet, le Vice-président en charge de l’accès à l’énergie et Émile Parfait Mouloundou, le Directeur général pour l’Afrique francophone.

Jean Marie Takouleu (AFRIK21) : Schneider Electric a pris part à l’EAIF 2023 qui vient de s’achever à Abidjan en Côte d’Ivoire. Plusieurs évènements comme celui-ci se sont multipliés ces dernières années en Afrique. Et pour autant, la situation du continent a peu évolué en matière d’accès à l’électricité. Qu’est-ce qui justifie la présence de Schneider Electric à l’EAIF 2023 ?

Albert Fuchet (AF) : L’enjeu est important. On considère qu’il y a 600 millions d’Africains qui n’ont pas accès à l’électricité, alors que c’est la base de la vie. Sans électricité au 21e siècle, on ne peut plus faire grand-chose, en termes d’éducation, de sécurité, d’alimentation, de communication, etc. Donc, c’est un sujet extrêmement important. En outre, l’accès à l’énergie est au cœur de la proposition de valeur de Schneider Electric.

C’est une entreprise spécialisée dans l’économie numérique orientée vers l’efficacité énergétique et le développement durable, c’est-à-dire qui a contribué à la limitation du réchauffement de la planète. Étant une compagnie à impact, Schneider fait partie des grands groupes les plus actifs pour l’accès à l’énergie, avec une division spécifique dont j’ai l’honneur de diriger. Nous avons pour objectif de connecter 50 millions de personnes à l’électricité d’ici à 2025 et 100 millions de personnes en 2030. Tout ceci en suivant nos objectifs de durabilité.

Il faut aussi mentionner la qualité de l’évènement. L’EAIF est le principal évènement dédié au financement de l’accès à l’électricité en Afrique. Nous y étions l’année dernière à Dar es Salam en Tanzanie où nous avons pu échanger avec différents écosystèmes, notamment des représentants de tout le continent africain. C’est pourquoi nous en avons fait l’un des principaux évènements pour l’accès à l’électricité en Afrique.

AFRIK 21 : Les représentants de Schneider ont participé à plusieurs panels sur le financement de l’accès à l’électricité à l’EAIF 2023. Concrètement, comment contribue Schneider Electric à l’électrification de l’Afrique ?

Émile Parfait Mouloundou (EPM) : Nous sommes fortement engagés sur l’accès à l’électricité en Afrique, à travers la cherche et la mise en place des innovations. Schneider Electric met à la disposition des populations dans le besoin, des équipements abordables en tenant compte de leur situation. Aussi, nous contribuons à l’électrification de l’Afrique à travers la formation des jeunes, des femmes, et soutenons l’entrepreneuriat.

Très concrètement, si vous êtes par exemple dans la périphérie d’une localité comme Bamenda au Cameroun où il n’y a pas encore de l’électricité, il va falloir mettre en place des systèmes durables de production d’électricité. Les formations visent à créer des activités génératrices de revenue autour du système afin que les entrepreneurs locaux puissent produire de la richesse pour financer la maintenance de la solution d’accès à l’électricité. Donc, nous formons les entrepreneurs dans la vision de développer la communauté.

Schneider Electric accompagne également l’électrification à travers l’octroi de financement via des fonds d’investissement comme E3 Capital (anciennement Energy Access Ventures) basé à Nairobi au Kenya, qui finance les fournisseurs d’accès à l’électricité.

AFRIK 21 : En marge de l’EAIF 2023, Schneider Electric s’est associé à Gaia Impact, Investisseurs & Partenaires, Capelan et Capital Croissance pour le lancement du Gaia Energy Impact Fund II (GEIF II). Schneider Electric y participe à hauteur de 15 millions d’euros. Quel est le but de cette nouvelle initiative ?

AF : C’est le quatrième fonds que nous lançons. Le GEIF II est un catalyseur qui vise à accélérer l’innovation en matière d’accès à l’électricité, en particulier autour du digital. La transformation digitale permet aujourd’hui avec l’internet des objets (IoT), de réduire les coûts d’exploitation des mini-réseaux électriques installés sur des sites éloignés. Avec Gaia et les autres partenaires, nous sommes une coalition d’experts qui espèrent attirer d’autres investisseurs. L’objectif c’est d’arriver à une capitalisation de 80 millions d’euros. Le fonds accompagnera les entrepreneurs à fort impact environnemental et social. On espère que le GEIF II contribuera à électrifier le plus de villages possible en Afrique et ailleurs.

AFRIK 21 : Lors du tout premier panel de l’EAIF 2023, un professionnel du secteur de l’énergie venu du Sénégal a posé une question qui reflète la tendance actuelle en Afrique. Les Africains veulent consommer des produits locaux, et cela touche tous les secteurs, y compris l’énergie. Est-ce que le fait que le fonds GEIF II financera les entreprises en phase d’amorçage pourrait contribuer à répondre à cette préoccupation en soutenant l’entrepreneuriat local ?

EPM : Les actions qui sont menées par des fonds comme GEIF II sont aussi dédiées à des partenaires locaux. Schneider a une politique de transfert de connaissance sur la fabrication et l’exploitation. La question concerne également la fabrication locale des équipements qui viennent de l’Inde et de la Chine, alors que les écosystèmes sont à peu près les mêmes. C’est une réflexion à mener. Mais il faut comprendre que la mise en place d’une unité de fabrication dans des pays coûte beaucoup plus cher, et il nous faut un marché et le soutien des gouvernements.

Ce que nous constatons, et ce n’est pas forcément une critique, c’est encore des vains mots au niveau de nos gouvernements quand ils disent « qu’on va soutenir la politique d’électrification ». Sinon, il y a des pays qui se démarquent comme la Côte d’Ivoire, où il y a une vraie politique d’électrification. De plus, il n’y a pas encore de politique de protection de la production locale. Donc, la solution est un peu plus politique. Sinon, Schneider a cofinancé les usines en Algérie et au Maroc.

AFRIK 21 : Donc, l’Afrique subsaharienne n’est pas encore prête ?

EPM : Tout est une question de volonté politique.

AFRIK 21 : Schneider Electric a mis au point des solutions d’électrification que vous avez présenté à l’EAIF. Il s’agit notamment de Homaya Hybrid, Homaya Pro et EcoStruxure Energy Access Expert. Sont-elles déjà opérationnelles quelque part en Afrique ?

AF : Ces solutions commencent par les plus petits produits, notamment les lanternes solaires qui sont utilisées dans des situations d’urgence. On en a distribué dans des camps de réfugiés. Il y a également des systèmes solaires domestiques qui sont déjà installés en Afrique et en Asie. C’est très efficace pour l’électrification des commerces, des centres de santé, des centres communautaires, etc. La solution EcoStruxure Energy Access Expert permet quant à elle d’interconnecter les infrastructures électriques (mini-réseaux, Ndlr) sur une plateforme dans le Cloud, permettant l’analyse et la prise de décision à distance.

Nous avons fourni des solutions décentralisées d’accès à l’électricité dans le cadre des missions de l’Organisation des Nations unies (ONU) au Tchad et en République centrafricaine (RCA). Et récemment, Schneider a signé un partenariat avec Equity Banque en République démocratique du Congo (RDC) afin d’accélérer l’électrification de l’ensemble de ses provinces.

AFRIK 21 : Au-delà de l’absence de financements, le coût des équipements est également cité comme l’un des obstacles à l’électrification de l’Afrique. Certains fournisseurs d’accès à l’électricité proposent de détaxer les équipements dédiés à l’électrification. Le Sénégal l’a déjà fait. Quel est votre avis sur la question ?

EPM : C’est une question essentielle. En tant que fabricant, je recommanderais au pays d’explorer cette option pour que les équipements puissent être distribués aux populations à des prix encore plus intéressants. Par exemple, un kit part de l’usine en Chine autour de 25 et 30 euros. À l’arrivée en Afrique, plusieurs coûts s’appliquent, notamment le voyage et les différentes taxes. Et il faut que le commerçant sur place puisse ajouter sa marge. Finalement, le produit peut se retrouver sur le marché camerounais à 50 000 francs CFA (plus de 76 euros, Ndlr).

Mais nos économies sont fragiles, avec l’ensemble des secteurs qui sont finalement prioritaires. Tous les pays n’ont pas le même tissu économique. Il y a des économies ou ça pourrait très bien marcher, et des situations ou cette solution seraient moins adaptées.

AFRIK 21 : Qu’en pensez-vous Albert Fuchet ?

AF : On a énormément d’exemples où l’apport d’électricité renouvelable décentralisée dans les régions crée de la valeur à travers la multiplication de la production agricole, la réduction des problèmes de santé, la formation des jeunes, etc. Donc, le résultat global qu’on pourrait avoir à travers la réduction des taxes par une augmentation de volume à mon sens est positif. Mais c’est une décision des différents pays.

Propos recueillis par Jean Marie Takouleu

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