CAMEROUN : le désastre environnemental de la carrière de Tchipou

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CAMEROUN : le désastre environnemental de la carrière de Tchipou©Adam Jan Figel/Shutterstock

À l’ouest du Cameroun, les populations riveraines de la carrière de Tchipou n’ont que leurs yeux pour pleurer. Leurs terres sont devenues invivables à cause d’une activité industrielle aux conséquences environnementales et sociales désastreuses. Pollutions sonore et atmosphérique, dégradation de la flore locale, déséquilibre de la faune …, la liste est longue.

Nous sommes à Bamougoum, dans le troisième arrondissement de Bafoussam, dans la région de l’ouest au Cameroun. Le sol ici est de nature rocheuse et certaines montagnes couvrent des rochers pouvant s’étendre sur plusieurs kilomètres. C’est le cas au quartier Tchipou, où l’entreprise chinoise China Longteng exploite à échelle industrielle une carrière de gravier d’une superficie de 12 hectares, livrant près de 100 camions par jour, pour une recette journalière d’environ 12 millions de FCFA. Mais à côté de cette affaire juteuse qui dure depuis 2015, il y a des riverains aux abois.

« On ne peut plus couper une feuille au champ pour emballer du couscous. N’en parlons plus des légumes.  En saison sèche tous les végétaux sont blancs, parce recouverts de ciment. Même les bambous qui poussent dans les alentours n’ont plus de nectar. Le vin de raphia que nous buvons ici est cueilli ailleurs » s’indigne un patriarche du quartier, assis dans une boutique de fortune située non loin de la carrière. Les ressources en eau de Tchipou sont polluées jusqu’à la nappe phréatique. Pour éviter les maladies hydriques, les habitants sont obligés de parcourir des kilomètres pour recueillir le précieux liquide. Même les puits creusés par l’entreprise qui exploite la carrière, se sont asséchés.

Des pertes en vie humaine

Outre les menaces sur leur environnement, les populations de Tchipou connaissent également des pertes en vie humaine à cause de l’extraction du gravier. « Nous avons récemment perdu un enfant ici. Une pierre avait jailli de la carrière et a broyé un fût à côté duquel se trouvait cet enfant. L’éclat produit par le choc a rendu l’enfant malade et il a fini par rendre l’âme quelques jours après » affirme Prospère Ndjoupa, un riverain de Tchipou. Suite à ce drame, la réaction de China Longteng se limitera à remplacer le fût qui avait été broyé par un neuf. Les vibrations du sol produites par la carrière constituent également un frein à la procréation. « Si une femme est en ceinte elle va avorter. Quand les Chinois dynamitent les rochers, les vibrations du sol secouent le ventre de la femme. Beaucoup ont eu des fausses coches ici à cause de cela » affirme Prospère Ndjoupa.

Le suivi du cahier des charges, plombé par la Covid-19

De visu, plusieurs dizaines de maisons d’habitation se trouvent dans un rayon de 100 à 200 mètres de la carrière de Tchipou. Et pourtant l’étude d’impact environnemental de la carrière, prévoit un périmètre de sécurité de 300 mètres à la ronde. Mais aucune explication ne sera donnée sur ce manquement par la China Longteng. Dans le cadre de ce reportage, nous avons pu, un mois plus tard, obtenir le numéro de téléphone de la China Longteng. À l’autre bout du fil, une dame se présentant comme la directrice générale adjointe de l’entreprise, nous a répondu. Mais mis à part sa fonction, celle-ci abstiendra à décliner son identité, tout comme elle refusera de réagir aux plaintes et incriminations des populations riveraines sur l’activité extractrice de sa société.

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Du côté de la délégation régionale du ministère des Mines, le Délégué régional Lucien Sembi, refusera de nous recevoir, alors qu’à la délégation départementale du ministère de l’Environnement, les portes nous seront ouvertes. « Nous effectuons des missions de suivi du plan de gestion d’impact environnemental à la carrière de Tchipou deux fois par an, soit une fois par semestre. Mais depuis la déclaration du coronavirus au Cameroun en mars 2020, nous avons suspendu nos missions de suivi. C’est peut-être la raison pour il y a tous ces dérives environnementales, liées au non-respect du cahier des charges » explique Ferdinand Bouba Zatchong, délégué départemental du ministère de l’Environnement, de la Protection de la nature et du Développement durable, pour la Mifi.

L’ouverture d’une deuxième carrière en projet

Sur le terrain, le combat pour l’application du plan de gestion d’impact environnemental de la carrière de Tchipou tarde à porter ses fruits. « Il y avait un cahier de charge, même si celui-ci est resté un serpent de mer. Ce document prévoyait le bitumage des axes environnants, la construction d’un centre de santé et d’une école et la mise sur pied d’une caisse communautaire pour compenser le manque à gagner causé par la carrière sur les riverains. Parce que quand il y a dynamitage, les populations doivent abandonner leurs maisons pour se mettre à l’abri. Nous souffrons tellement, car de tout ceci, rien n’a été fait » affirme Gustave Flaubert Kengne, le porte-parole des riverains de la carrière de Tchipou.  Et pourtant le code minier de la Communauté économique et monétaire de l’Afrique centrale (Cemac), en son article 6 précise que le cahier de charge doit être rempli avant le début de l’exploitation.

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Selon le porte-parole des riverains, plusieurs vieillards du coin ont abandonné leurs maisons pour se réfugier chez leurs enfants au centre-ville, à l’abri des secousses et des bruits assourdissants de dynamitages. Pendant ce temps la China Longteng se porte mieux que jamais.  À deux kilomètres de son site, l’entreprise chinoise entend ouvrir d’ici peu une deuxième carrière. La carrière de « Ndoumdji » qui, s’étendra sur 34 hectares, soit trois fois, la superficie de la carrière de Tchipou. Un gouffre foncier pour une localité dont la densité de la population s’élève à 500 habitants par kilomètre carré.

Boris Ngounou

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