BARRAGES : l’Afrique au défi de l’impact écologique des projets hydroélectriques

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Nil blanc, chutes de Bujagali, Ouganda. © Dimitri Pichugin / Shutterstock.

Le continent africain fait face à un important défi énergétique et écologique, lié à la croissance économique et démographique du continent. Pour fournir de l’électricité à leurs industries et à leurs populations, les pays se tournent souvent vers l’hydroélectricité, un potentiel énorme encore sous-exploité. Mais les ouvrages de retenue impactent les cours d’eau et la biodiversité locale, ainsi que les populations humaines qui en dépendent. D’où la nécessité de mieux prendre en compte ce paramètre dans les projets de barrages hydroélectriques.

En Ouganda, le barrage hydroélectrique d’Isimba vient d’être mis en service par China International Water and Electric Corporation (CWE). L’infrastructure, qui affiche une capacité de 183 MW, est importante pour l’économie de ce pays d’Afrique de l’Est. Et, comme en Ouganda, les projets de barrages se multiplient ailleurs sur le continent africain. Selon un rapport de la revue Proceedings of the National Academy of Sciences of the United States of America, « on estime à 3 700, le nombre de barrages de plus de 1 MW prévu ou en construction, principalement dans les pays en développement.

Un bon nombre de ces pays en voie de développement se trouve en Afrique. Et ils s’apprêtent à exploiter leur potentiel hydroélectrique, pour résoudre les problèmes de délestages auxquels sont confrontées leurs populations et produire plus d’électricité avant de raccorder de nouveaux foyers. Il est facile de comprendre pourquoi : l’hydroélectricité représente la plus grande source d’électricité renouvelable (71 % de la production mondiale d’énergie renouvelable), et l’on estime que seulement 22 % du potentiel mondial est exploité à ce jour. »

La construction de barrage : un danger pour l’environnement ?

L’hydroélectricité est certes une source d’énergie renouvelable, mais cela n’en fait pas automatiquement une énergie à faible impact social ou environnemental. Ce mode de production d’énergie peut représenter un danger pour la flore et la faune ainsi que pour les populations riveraines. En Tanzanie par exemple, les autorités ont entrepris la construction du barrage hydroélectrique de Stiegler’s Gorge, en plein cœur de la réserve de Selous, classée au patrimoine mondial de l’humanité par l’Unesco (Organisation des Nations unies pour l’éducation, la science et la culture).

Selon plusieurs organisations non gouvernementales, à l’instar du WWF, le projet entraînera la mort ou l’exode de très nombreux animaux sauvages, sur une partie importante de la réserve de Selous. La même source estime que Selous compte a minima 110 000 bêtes, mais surtout de nombreuses espèces en voie de disparition. Sans parler de la végétation, constituée d’arbres et d’arbustes, qui a déjà été rasée sur une superficie de 1 500 ha.

« La difficulté avec l’impact des barrages sur la faune et la flore c’est que la retenue d’eau va inonder les espaces naturels », explique Fabien Quétier, directeur d’études et spécialiste de la compensation au titre de la biodiversité chez Biotope, une entreprise spécialisée dans l’étude, la conservation et la valorisation de la biodiversité.

La problématique soulevée par ce spécialiste a été observée en Guinée pour le projet hydroélectrique de Koukoutamba. Sur place, les autorités ont confié à l’entreprise chinoise, Sinohydro, la construction d’un barrage qui devait permettre de produire 294 MW. Problème : les eaux du barrage inondent le territoire d’importantes populations de chimpanzés du parc national du Moyen-Bafing dont la création par le gouvernement guinéen est appuyée par la Compagnie des bauxites de Guinée et Guinea Alumina Corporation, avec le financement de la Société financière internationale (IFC). Il est destiné à protéger 4 000 chimpanzés d’Afrique de l’Ouest, une sous-espèce en danger critique d’extinction. Selon Rebecca Kormos, une primatologue spécialiste des chimpanzés, le projet devrait impacter au moins 1 500 de ces grands singes qui devront trouver refuge ailleurs. Dans un article publié par The Guardian, elle estime que le projet n’a pas assez pris en compte les conflits territoriaux avec d’autres groupes de chimpanzés que causerait l’errance d’une population de primates déplacée par le barrage.

La biodiversité terrestre et les populations sont aussi affectées

Mais les projets de barrage n’impactent pas uniquement la flore et la faune terrestre. La biodiversité aquatique est également affectée. « Les poissons qui remontent la rivière, pour aller se reproduire dans les têtes de bassins versants, vont se retrouver bloqués par le barrage. Du coup, ils ne peuvent plus se reproduire. Ce qui peut provoquer l’extinction de certaines espèces », souligne Fabien Quétier. À cela, il faut ajouter le débit du cours d’eau qui sera tout simplement modifié, impactant une fois le plus la biodiversité aquatique.

Au Cameroun, le projet hydroélectrique de Nachtigal, qui va permettre de produire 420 MW, menace une plante aquatique endémique très rare (Ledermanniella sanagaensis)qui pousse presque exclusivement au niveau des chutes de Nachtigal. « Des études complémentaires sont en cours afin d’améliorer les connaissances sur l’espèce et proposer des mesures efficaces de réduction et de compensation des impacts du projet », assure Nachtigal, l’entreprise créée ad hocpour ce projet.

Les barrages affectent également la population locale sur plusieurs niveaux. Dans les zones habitées, elles seront déplacées. Pour celles qui vivent de la pêche, la productivité de leur activité sera lourdement affectée. De plus, « les cours d’eau transportent des sédiments comme du sable ou encore des boues. Quand on commence à changer les mouvements des sédiments, cela entraîne souvent des conséquences importantes. Par exemple, les fameuses crues du Nil qui jadis fertilisaient les plantations en Basse-Égypte ont disparu. Tous les sédiments qui partaient d’Ouganda et d’Éthiopie n’arrivent plus en Égypte à cause des nombreux barrages construits le long du fleuve », explique Fabien Quétier. Mais, eu égard à leurs besoins énergétiques, les pays ne peuvent pas se passer de ces barrages pour le moment, d’où la nécessité de mieux investir dans les études d’impact écologique et les mesures d’atténuation de ces impacts. Ce à quoi les bailleurs de fonds veillent de plus en plus souvent…

L’importance de l’étude d’impact écologique

L’une des meilleures solutions, pour faire face au risque de dégradation de la biodiversité lié aux projets de barrages, consiste à effectuer des études d’impact écologique de qualité. Il s’agit tout d’abord de faire un état initial de la biodiversité dans la zone du projet de barrage, et notamment sur celle qui va être inondée par la retenue d’eau. « Il faudra aussi observer le comportement des poissons, comment les espèces utilisent les différentes portions de rivières, en différentes saisons » préconise le spécialiste de la société Biotope.

C’est à partir de tous ces paramètres et de bien d’autres que le résultat des analyses peut pousser les opérateurs du projet à revoir le plan ou tout simplement à déplacer le projet. L’objectif final est de produire une énergie propre tout en donnant l’opportunité aux espèces animales et végétales de prospérer. Les experts proposent aussi de ne pas oublier de compenser les impacts sur la faune et la flore qui n’auraient pas pu être évités ou suffisamment réduits. Il s’agit de restaurer et protéger un espace similaire à celui touché par le projet de barrage hydroélectrique, au sein du bassin versant. Mais pour en arriver là, il faudra que les pays africains se dotent et appliquent des stratégies bien pensées pour la mise en valeur de leurs bassins versants. Il s’agit de mieux peser la valeur du barrage au regard des atteintes à la biodiversité et aux services écosystémiques associés, ainsi que les besoins des populations locales en eau et ressources naturelles (eau potable, irrigation, pêche…). « On est encore loin du compte » précise Fabien Quétier.

Jean Marie Takouleu

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